Épandage automnal des MRF - risques environnementaux et mesures préventives Marc Hébert, agronome, M.SC. Ministère du Développement durable, de l'Environnement et des Parcs du Québec | Les matières résiduelles fertilisantes (MRF) et les composts sont fréquemment valorisés en postrécolte, à la fin de l’été ou en automne, pour des raisons pratiques et afin de réduire les problèmes d’odeurs. Cette période d’épandage est cependant questionnée quant aux risques de contamination de l’eau. À partir de la littérature québécoise disponible sur les MRF et les engrais de ferme, le présent article vise à dégager les principaux paramètres (contaminants) devant être considérés. Les paramètres sont examinés en fonction de la pression exercée sur l’environnement (quantités et caractéristiques des MRF), de l’état de l’environnement (eau, air, sol, aliments) et du niveau de protection par les normes et critères gouvernementaux actuels (approche Pression-État-Réponse). Les résultats suggèrent que le risque de l’épandage automnal des MRF sur l’environnement et la santé humaine est faible et est généralement moindre que celui des engrais de ferme. C’est notamment le cas avec les composts, ainsi que les biosolides papetiers ayant un rapport C/N > 20, et en considérant le fait que la majorité des MRF ne contiennent pas de pathogènes. L’épandage automnal des MRF serait aussi préférable à un épandage printanier ou estival en ce qui concerne les odeurs et les bioaérosols. D’une façon globale, en termes de gestion des matières résiduelles, la possibilité d’un épandage automnal des MRF organiques et des composts, plutôt que leur élimination, permettrait, directement ou indirectement, une réduction de l’érosion des sols récepteurs, de la contamination de l’eau de surface (MES) et des émissions de gaz à effet de serre (CH4, et possiblement N2O avec l’épandage des résidus à C/N élevé). Des mesures préventives simples sont toutefois proposées pour minimiser les pertes d’azote à l’environnement, en fonction notamment du rapport C/N et du ratio N-NH4/N total des MRF, et pour minimiser les risques de contamination de l’eau de surface par les pathogènes. | Introduction En juin 2002, le Gouvernement du Québec adoptait le Règlement sur les exploitations agricoles (REA) dont l’objectif principal est : « … d'assurer la protection de l’environnement, particulièrement celle de l'eau et du sol, contre la pollution causée par certaines activités agricoles. ». L’article 31 du REA précise que : « … les matières fertilisantes peuvent être épandues après le 1er octobre sur un sol non gelé et non enneigé si l’agronome qui conçoit le plan agroenvironnemental de fertilisation y précise une nouvelle période d’interdiction. ». Afin de baliser le travail de l’agronome relativement aux épandages de matières fertilisantes, notamment en post-récolte, l’Ordre des agronomes du Québec a publié une ligne directrice (OAQ 2004), basée principalement sur une réflexion relative aux engrais de ferme, et concernant surtout les risques liés à l’azote. Or, les matières résiduelles fertilisantes (MRF) et les composts ont des caractéristiques, parfois semblables, mais parfois très différentes des déjections animales, notamment au plan des odeurs, des pathogènes et des teneurs en azote ammoniacal. Cela doit donc impliquer une approche distincte d’évaluation du risque global à l’environnement et de recommandation par l’agronome. Le but du présent article est de dégager, en fonction de la littérature, les paramètres (contaminants) devant être considérés et, le cas échéant, proposer des mesures préventives simples d’épandage automnal des MRF et des composts. Méthodologie L’information sera présentée selon l’approche Pression-État-Réponse, souvent utilisée en agroenvironnement (MDDEP 2003). On mettra l’emphase, tantôt sur les risques à l’échelle de la ferme, tantôt à une échelle plus globale, en fonction du type de contaminant et des risques spécifiques qu’il présente. Par exemple, la teneur en ammonium de l’eau sera considérée à la fois à l’échelle des parcelles et des cours d’eau (bassins versants), mais la question des odeurs et des bioaérosols sera limitée à l’échelle de la ferme et du voisinage. Le risque concernant les métaux sera quant à lui abordé selon une échelle de temps (court ou long terme). L’estimation du risque intégrera d’une part le niveau de contamination d’une matière fertilisante, et d’autre part le niveau d’exposition d’un milieu ou d’une population, selon le concept simplifié suivant : Risque = f (teneur en contaminants; exposition) Ainsi, une MRF qui contient très peu de contaminants présente un risque environnemental faible. Une matière plus contaminée devra par contre faire l’objet de contraintes d’épandage supplémentaires (doses, distances séparatrices, etc.) pour limiter l’exposition, et ainsi le risque global. De façon à quantifier le risque, on référera à des normes réglementaires et des critères de qualité de l’environnement (par exemple la norme nitrates pour l’eau potable). Le risque des différentes MRF sera par ailleurs comparé à celui des engrais de ferme, de manière qualitative et quantitative, afin de dégager l’importance relative des risques et des enjeux environnementaux, par exemple la problématique des surplus de phosphore. Plusieurs publications scientifiques sur l’épandage automnal des engrais de ferme en contexte québécois seront d’ailleurs considérées. Cela a pour but de combler certaines lacunes au niveau de la littérature scientifique disponible sur les MRF, notamment le risque de contamination de l’eau de surface par l’ammonium et les risques de production de gaz à effet de serre. Toutefois, il faut souligner que cet article ne vise pas à établir le risque relatif des différents engrais de ferme entre eux, ce qui devrait faire l’objet d’une étude spécifique. Par souci de simplicité, l’expression épandage d’automne (ou épandage automnal) désignera l’ensemble des pratiques d’épandage en « post-récolte », même si elles ont parfois lieu avant le 21 septembre. Pression sur l’environnement Quantités de MRF Tableau 1. Principaux types de MRF épandues sur les sols agricoles en 2001-2002. Adapté de MDDEP (2004) et de Potvin (2003). Types de MRF | Tonnes humides | Biosolides papetiers | 720 000 | Biosolides municipaux | 70 000 | Biosolides d'abattoirs | 45 000 | Biosolides agroalimentaires autres | 20 000 | Composts commerciaux | 55 000 | Cendres | 60 000 | Poussières de cimenteries | 50 000 | Résidus alcalins de papetières | 37 000 | Résidus magnésiens | 25 000 | Autres ACM | 25 000 | Total | 1 107 000 | | Il s’épand chaque année sur les sols agricoles du Québec plus d’un million de tonnes de MRF d’origine industrielle ou municipale (MDDEP 2004). On y retrouve principalement des biosolides (boues organiques), des amendements calciques ou magnésiens (ACM) et des composts (tableau 1). Cette quantité est significative en termes de réduction de l’enfouissement sanitaire, et par conséquent de réduction de l’émission de méthane (CH4), un biogaz à effet de serre, et de génération d’eaux de lixiviation chargées en matière organique qui sont associées aux lieux d’enfouissement sanitaire. La quantité de MRF valorisée en agriculture s’avère toutefois relativement faible (figure 1) lorsqu’on la compare à l’épandage de quelque 31 millions de tonnes d’engrais ferme (Charbonneau et al. 2000). La proportion des MRF épandues en agriculture (3 % des matières fertilisantes) demeure relativement stable, puisque l’accroissement de la valorisation des MRF au cours des dernières années (MDDEP 2004) a été accompagné d’une augmentation significative des volumes de fumiers gérés sous forme liquide (BPR 2005). Les MRF sont épandues sur environ 2,5 % des superficies cultivées (Charbonneau et al. 2000), mais seulement sur 1 % des sols dans les régions en surplus de fumiers (BPR-GREPA 2000). Les MRF sont réparties sur environ 1100 exploitations agricoles (MDDEP, données non publiées), soit approximativement 3,7 % des quelque 30 000 exploitations agricoles du Québec. Figure 1. Contribution des MRF au tonnage des matières fertilisantes épandues en agriculture (Charbonneau et al. 2000). | À l’échelle provinciale, les charges d’azote (N) et de phosphore (P) par les MRF représentent environ 2 % des apports au sol, soit bien moins que les engrais de ferme ou les engrais minéraux (figures 2a et 2b). Dans les régions en surplus de fumiers, comme la Montérégie, les MRF ne contribueraient que pour 1 % des charges de P sur les sols agricoles (MDDEP 2002). Au plan quantitatif, on peut donc dégager le principe du « 2-4 % » pour la valorisation agricole des MRF en termes de tonnage, de charges en N et P, de superficies et d’exploitations agricoles réceptrices. Ajoutons que la plupart des MRF sont épandues sous forme solide, contrairement aux déjections animales majoritairement gérées sous forme liquide (BPR 2005). Dynamique de l’azote L’azote (total) des amendements organiques est composé des formes organique et minérale (principalement ammoniacale). La figure 3 schématise la dynamique de l’azote apporté suite à un épandage et met en évidence que le risque de pertes est d’abord relié à l’ion ammonium (NH4) de l’amendement. Or, le ratio N-NH4/N total des MRF est très variable, mais généralement faible et bien en deçà de celui des lisiers (tableau 2). Toutefois, le stockage accroît la teneur en N-NH4 des biosolides papetiers mixtes, suite à l’activité microbienne (Envir-Eau 2001). Après quelques semaines de stockage de biosolides papetiers à C/N ≤ 20, le ratio N-NH4/ N total peut atteindre 32 % (Rioux 2002, N’Dayegamiye et al. 2004a), soit une valeur comparable aux fumiers de bovins solides (N’Dayegamiye et al. 2004a). On a même observé un ratio de 40 % après 10 semaines de stockage pour un biosolide à C/N < 15 (Granger, comm. pers.). Ces ratios N-NH4/N total après stockage demeurent cependant environ deux fois moindres que ceux des lisiers qui sont en moyenne de 60 % (Seydoux et al. 2004), mais qui peuvent atteindre 70 à 80 % (Rochette et al. 2001, Chantigny et al. 2004). Figure 2. Répartition relative des charges en azote (a) et en phosphore (b) sur les sols agricoles au Québec (adapté de Beaudet 2003, BPR 2005 et Charbonneau et al. 2000). | | | Les essais d’incubation de sols réalisés au Québec avec trois biosolides papetiers et un biosolide municipal granulé montrent qu’il n’y a pas d’immobilisation de l’azote du sol avec des C/N < 20 et que la nitrification de l’azote apporté démarre en moins d’une semaine (Watt 2001). N’Dayegamiye et al. (2004a), qui ont travaillé en parcelles, montrent que le reliquat de NO3 dans le sol suite à un épandage automnal de biosolides papetiers ou de fumiers solides est corrélé au ratio N-NH4/N total (r = 0,67) et au C/N (r = -0,80) de l’amendement. Ces auteurs concluent que l’épandage automnal (1er octobre) d’un amendement à ratio C/N > 20 n’entraîne pas une contamination importante de l’eau par les nitrates (NO3). Bien que l’essai n’ait pas été répété sur plusieurs années, ni avec une grande variété d’amendements, certaines observations ont néanmoins été corroborées par Nicolardot et al. (2003) avec des incubations de sols amendés avec des fumiers, des boues urbaines ou des résidus agro-industriels (r = 0,87 entre le N minéralisé et le ratio N organique/C organique des amendements). Au terme d’une revue de littérature sur différents essais en parcelles, Chabot et al. (2000) constatent toutefois un risque d’immobilisation de l’azote du sol avec l’épandage printanier de biosolides papetiers ayant des C/N > 30. Le risque d’immobilisation serait même systématique avec des biosolides papetiers à C/N > 43 (Chabot et al. 2000, Hébert et Gagné 2003). Des essais en parcelles réalisés par Chantigny et al. (1999) montrent que les processus d’immobilisation peuvent d’ailleurs durer plusieurs mois avec des résidus primaires de désencrage (C/N > 200). La durée de l’immobilisation nette de l’azote du sol (période durant laquelle la quantité d’azote immobilisée excède la quantité minéralisée) serait toutefois proportionnelle au rapport C/N des biosolides (van Ham et Henry 1995). La durée des processus d’immobilisation est aussi fortement influencée par la température du sol (Chantigny et al. 1999). Pour ce qui est des composts, bien qu’ayant généralement des C/N < 20, et souvent moins de 15, ces amendements humifiés minéralisent leur azote beaucoup plus lentement que les fumiers (Gagnon et al. 1997, Hébert et Gagné 2003, Nicolardot et al. 2003). Les composts de ferme (généralement produits avec des fumiers) contiennent d’ailleurs moins de 10 % de leur azote sous forme minérale, soit moins de 2000 mg/kg de N-NH4 ou de nitrates (N-NO3), selon la forme minérale dominante (Gagnon et al. 2004). Le devenir de l’azote est fortement influencé par la température du sol. À moins de 5º C dans le sol, l’activité microbienne serait limitée selon certains auteurs (Clément et N’Dayegamiye 2003). Cette température est généralement atteinte vers le début novembre dans plusieurs zones agricoles du Québec (Environnement Canada 1984). De récentes recherches montrent toutefois qu’un épandage automnal tardif d’engrais de ferme peut stimuler l’activité biologique des sols durant la période hivernale, sous couvert de neige, alors que la température du sol avoisine 0 °C. L’ammonification de l’azote organique apporté peut alors être importante (Chantigny et al. 2002), tout comme la nitrification de l’ammonium produit (Chantigny 2005) et la dénitrification des nitrates accumulés (Chantigny et al. 2002). Gangbazo et al. (1993, 1995, 1997) ont cependant énoncé le principe général voulant que la période d’épandage (température du sol) soit le principal facteur qui détermine le paramètre de l’eau qui sera le plus affecté suite à l’épandage du lisier de porcs : NO3 pour l’eau souterraine avec un épandage hâtif; ou NH4 pour l’eau de surface avec un épandage tardif. La dose de lisier et le type d’incorporation déterminent quant à eux l’intensité de la contamination potentielle. Ces constats généraux ont été corroborés par un groupe d’experts (MAPAQ, MDDEP, UPA, MSSS et MAM 1998). Figure 3. Dynamique de l’azote et pertes à l’environnement (adapté de Nicolardot et al. 2003). Tableau 2. Teneurs moyennes des MRF et des engrais de ferme pour divers paramètres agroenvironnementaux. MRF/engrais de ferme | Matière sèche | C/N | N-NTK | N-NH4 | N-NH4/ N-NTK | P2O5 | (% b. h.7) | | mg/kg (b. s.)7 | kg/tonne humide | mg/kg (b. s.) | kg/tonne humide | % | mg/kg (b. s.) | kg/tonne humide | Biosolides mixtes de papetières1 | 26 | 21 | 23 700 | 6,2 | 1 024 | 0,3 | 4 % | 9 611 | 2,5 | Biosolides primaires de papetières1, 2 | 44 | 281 | 1 500 | 0,7 | 29 | 0,0 | 2 % | 782 | 0,3 | Biosolides municipaux1, 3 | 23 | 11 | 30 000 | 6,9 | 3 194 | 0,7 | 11 % | 26 757 | 6,2 | Biosolides et résidus d'abbatoirs1 | 9 | 6 | 61 000 | 5,2 | 10 189 | 0,9 | 17 % | 32 482 | 2,8 | Autres biosolides et résidus agroalimentaires1 | 13 | 8 | 40 500 | 5,4 | 7 605 | 1,0 | 19 % | 51 296 | 6,8 | Composts commerciaux1 | 54 | 17 | 12 000 | 6,5 | 121 | 0,1 | 1 % | 16 045 | 8,6 | Résidu magnésien (SPD)1 | 50 | | | | | | | 11 214 | 5,6 | Cendres1 | 79 | 165 | | | | | | 12 514 | 9,9 | Poussières de cimenteries1 | 91 | | | | | | | 740 | 0,7 | Lisier de porc – engraissement4 | 4 | 4 | 100 000 | 4,0 | 57 500 | 2,3 | 58 % | 57 500 | 2,3 | Fumier de bovin avec paille5 | 22 | 18 | 26 000 | 5,6 | 5 761 | 1,2 | 22 % | 17 593 | 3,8 | Lisier de bovin5 | 7 | 11 | 40 000 | 2,9 | 24 306 | 1,8 | 60 % | 20 833 | 1,5 | Fumier de volaille5 | 53 | 13 | 41 000 | 21,5 | 9 630 | 5,1 | 24 % | 43 238 | 22,7 | Composts de ferme6 | 29 | 15 | 25 000 | 7,3 | 951 | 0,3 | 4 % | 33 000 | 9,6 | - Tiré de Charbonneau et al. 2001 et MDDEP (données non publiées) pour des échantillons frais. La teneur en N-NH4 des biosolides papetiers mixtes peut toutefois augmenter significativement en cours d’entreposage, voir le texte. Les NO3/NO2 se retrouvent quant à eux généralement à l’état de traces, sauf quelques exceptions, comme les composts très matures.
- Incluant les résidus primaires de désencrage.
- Incluant les biosolides de fosses septiques.
- Tiré de Seydoux et al. (2004). Le ratio N-NH4/Ntotal des lisiers de porc peut atteindre 80 % (Rochette et al., 2001).
- Adapté de Trudelle et al. (1996).
- Tiré de Gagnon et al. (2004). Compostage impliquant généralement 1 à 2 retournements des amas.
- b. h. = base humide; b. s. = base sèche.
Phosphore (P) et autres contaminants chimiques La teneur en P des MRF est également très variable (tableau 2), mais les biosolides papetiers mixtes contiennent en moyenne 2 fois moins de P que le fumier de bovins, et 6 fois moins que le lisier de porcs, sur base sèche. Ces biosolides représentent donc une source de matière organique à moindre impact sur l’enrichissement en P des sols agricoles. Toutefois, sur base humide, les différences sont moins marquées. Les MRF contiennent d’autres nutriments/contaminants chimiques en teneurs variables (Charbonneau et al. 2001), notamment les métaux lourds, tels le cuivre, le zinc ou le cadmium, provenant de sources naturelles ou anthropiques. Les teneurs moyennes dans les biosolides sont variables, mais souvent relativement faibles comparativement aux teneurs limites permises pour les MRF de catégories C1 et C2 du ministère du Développement durable, de l’Environnement et des Parcs (MDDEP 2004). Les teneurs en cuivre et zinc des MRF sont souvent moindres que celles des déjections animales, sauf pour les biosolides municipaux (CRIQ 1994, Hébert 1998, Seydoux et al. 2003). Pathogènes Tableau 3. Teneurs en E. coli et salmonelles des engrais de ferme et critères de qualité des MRF (tiré de Hébert et al., 2003). | E. coli (NPP/ g ms)¹ | Salmonelles (NPP / 4 g ms)¹ | Critère MRF P1 – tout usage | < 1 000 | Absence | Critère MRF P2/P3 – usage restreint | < 2 000 000 | n/a | Fumier de bovins (n=5)2 | 64 000; (min=235; max =285 000) | Détectées dans 100 % des cas | Lisier de porc (n=6)2 | 15 000 000; (min=5 x 105; max=5 x 107) | Détectées dans 67 % des cas | -
NPP : Nombre le plus probable; m.s. : matière sèche. À noter que l’analyse des E. coli totaux n’est pas une mesure de la présence des sérotypes toxiques, dont le E. coli O157 :H7 responsable de la contamination de l’eau à Walkerton (Ontario). -
n : nombre d’échantillons analysés | Le MDDEP (2004) utilise la mesure des salmonelles et des coliformes fécaux thermotolérants (E. coli) dans les MRF comme indicateur de la présence réelle ou probable de pathogènes d’origine fécale. Avec ces analyses et d’autres paramètres, on détermine la catégorie de teneur en pathogènes pour chaque MRF (catégories P1, P2 ou P3). Or, selon le registre du Ministère pour les certificats d’autorisation (CA) émis en 2004 (données non publiées), 70 % du tonnage des MRF recensées était de catégorie P1, c’est-à-dire virtuellement exemptes de pathogènes d’origine fécale. En considérant le fait que les MRF certifiées conformes par le Bureau de normalisation du Québec (BNQ), non couvertes par les CA, sont également de catégorie P1, on peut dès lors évaluer que plus de 80 % des MRF épandues en agriculture sont virtuellement exemptes de pathogènes d’origine fécale. Cela contraste avec les fumiers et lisiers (tableau 3) qui contiennent souvent des salmonelles, ainsi que des quantités très importantes de E. coli (Hébert et al. 2003, Majdoub et al. 2004). Mentionnons toutefois une certaine disparité dans la littérature concernant les comptes bactériens des engrais de ferme, puisque Giroux et al. (2003) ne rapportent des salmonelles que dans 20 à 35 % des engrais de ferme échantillonnés, alors que Letellier et al. (1999, cité par Chevalier et al., 2004) rapportent la présence de salmonelles dans 10 % des fumiers de bovins et 71 % avec le porc. Il est possible qu’une partie de cette variabilité soit causée par les différentes méthodes d’analyses utilisées. Odeurs Le MDDEP (2004) a établi des catégories d’odeurs pour les MRF sur la base d’un sondage de perception d’odeurs réalisé par Groeneveld et Hébert (2002). La catégorie O1 désigne des MRF très peu odorantes, la catégorie O2 désigne des matières ayant des caractéristiques d’odeurs analogues au fumier de bovins solide et la catégorie O3 indique des matières plus odorantes que le fumier de bovins, sans toutefois être plus malodorantes que le lisier de porcs. Les contraintes d’épandage requises, dont les distances séparatrices, sont proportionnelles à la catégorie d’odeurs. Les MRF ayant des niveaux d’odeurs excédant la catégorie O3 ne peuvent toutefois pas être épandues. Selon les données du Ministère (2004, non publiées), il y aurait une répartition uniforme entre les 3 catégories pour les MRF valorisées dans le cadre d’un CA (1/3 O1; 1/3 O2; 1/3 O3). Les produits certifiés par le BNQ sont pour leur part généralement de catégorie O1. Par ailleurs, l’épandage de MRF odorantes durant la période la plus à risque de plaintes par les voisins (15 juin au 15 août) ne serait pratiqué que sur environ 10 % des fermes réceptrices de MRF O2/O3. Environ 50 % des MRF seraient même épandues en post-récolte (Groeneveld et Hébert 2003), comparativement à près de 30 % pour les déjections animales (BPR 2005). État de l’environnement Généralités La connaissance de l’état de l’environnement est la deuxième étape du schéma Pression-État-Réponse. Bien qu’il y ait eu des plaintes de citoyens relativement aux odeurs des MRF, ainsi que des cas anecdotiques d’erreurs agronomiques (débalancement du pH du sol, carences en azote, etc.), le MDDEP n’a pas répertorié au Québec de cas connu de pertes d’usage de l’eau et des sols, ou de contamination des aliments attribuables à la valorisation agricole des MRF. Un constat semblable est observé aux États-Unis (NAS 2003) et en Ontario (Smith 2005) avec les biosolides municipaux, valorisés selon les normes en vigueur. Ce constat s’expliquerait par les raisons suivantes : - Il y a relativement peu de MRF valorisées, comparativement aux engrais de ferme (règle du 2-4 %);
- La majorité MRF valorisées au Québec sont exemptes de pathogènes d’origine fécale et contiennent relativement peu de contaminants chimiques;
- La valorisation des MRF contenant des pathogènes est obligatoirement encadrée par un certificat d’autorisation (CA) spécifique délivré par le MDDEP;
- Les critères de teneurs limites en éléments traces métalliques et les contraintes d’utilisation des MRF par le MDDEP sont parmi les plus sévères au monde (Désilets 2003, Van Coïllie et Laquerre 2003);
- Les études épidémiologiques permettant d’établir une relation de causalité entre l’épandage d’une matière fertilisante donnée (engrais de ferme ou MRF) et une pollution microbienne du milieu ou une pathologie humaine sont limitées (Chevalier et al. 2004);
- Les activités les plus à risque sont les activités illégales, non contrôlées, tel le mélange de boues de fosses septiques non stabilisées dans les fosses à lisier suivi d’un épandage en agriculture (MDDEP 2004); or ces activités sont par nature difficiles à documenter.
Les sections suivantes cibleront donc plutôt les paramètres environnementaux généralement considérés dans l’approche d’assainissement du milieu agricole. Cela pour déterminer ensuite, théoriquement, dans quelle mesure l’épandage automnal des MRF peut contribuer à altérer ou améliorer la qualité de l’environnement et la santé humaine, en fonction du milieu (eau, air, sol, aliments) et de l’usage à protéger (potabilité, baignade, vie aquatique, etc.). Eau souterraine Les principaux paramètres considérés dans le Règlement sur le captage des eaux souterraines (RCES, Québec 2004) sont les E. coli et les nitrates. Or, dans une récente étude impliquant l’analyse de l’eau souterraine dans sept bassins versants en milieu agricole, le Gouvernement du Québec (2004) conclut ainsi : « L’étude portant sur les puits domestiques montre que, sur le plan microbiologique, la qualité de l’eau souterraine en zone d’agriculture intensive se compare à celle en zone témoin… Une évaluation du risque, qui a considéré la consommation d’eau des enfants et des adultes ainsi que le niveau de contamination de l’eau par les nitrates, révèle que le risque pour la population des zones d’agriculture intensive est considéré comme très faible. Ce résultat est appuyé par le faible pourcentage de dépassement (2,6 %) de la norme de 10 mg/L-N de la concentration des nitrates dans les puits domestiques ». Si l’impact de l’ensemble des activités en zones agricoles intensives entraîne peu ou pas de pertes d’usage de l’eau souterraine, comparativement à la zone non agricole, on peut logiquement déduire que les MRF n’ont pratiquement aucun impact négatif sur les usages de l’eau souterraine au Québec, peu importe la saison d’épandage. En effet, 80 % de ces matières sont virtuellement exemptes de pathogènes et elles ne représentent que 2 % du N épandu en zone agricole (figure 2a). Différentes études montrent d’ailleurs que le reliquat de nitrates dans le sol attribuable à l’épandage automnal de biosolides papetiers, et sujet à migrer vers la nappe phréatique, est relativement faible si on le compare au reliquat normal observé suite à une culture de maïs (tableau 4). Selon Tran et al. (1996), c’est d’ailleurs un ensemble de pratiques qui influenceraient les pertes de nitrates, notamment le choix de la culture, et la régie de fertilisation sousjacente, selon la séquence de risque suivante (Giroux et al. 2003) : pomme de terre > maïs-grain > céréales = canola > soya >>> prairies Tableau 4. Reliquats de nitrates résiduels à l'automne dans les sols en fonction du précédent cultural ou d’un épandage d'automne de biosolides papetiers. Précédent cultural | Apports de biosolides | Date de l’épandage | Teneurs du sol (kg/ha) | Sources | C/N | t/ha | kg N-NH4/ha | N-NH4 | N-NO3 | Maïs | - | 0 | - | - | n. d.1 | 23-175 | Tran et al. 1992 | Maïs | - | 0 | - | - | n. d. | 18-145 | 5 études citées par Giroux et. al. 2003 | Pommes de terre | - | 0 | - | - | n. d. | 23-40 | 1 étude citée par Giroux et. al. 2003 | Blé | - | 0 | - | - | n. d. | 23-75 | Tran et al. 1992 | Orge ou canola | - | 0 | - | - | n. d. | 11-42 | 2 études citées par Giroux et. al. 2003 | Prairie | - | 0 | - | - | n. d. | 7-9 | 1 étude citée par Giroux et. al. 2003 | n. d.1 | 20 | 30 | 48 | 1 octobre | 02 | 332 | N'Dayegamiye et al. 2004 | n. d.1 | 24 | 30 | 6 | 1 octobre | 02 | 202 | N'Dayegamiye et al. 2004 | n. d.1 | 21 | 40 | n. d.1 | 23 octobre | 82 | 522 | Cormier et Dauphin 1998 | n. d.1 | 18 | 40 | 19 | 31 octobre | n. d. | 02 | Pouliot et al. 1998 | 1. n.d. = non disponible 2. N-NO3 ou N-NH4 en excès dans le sol comparativement à la parcelle témoin sans biosolides (N traitement – N témoin), analyses en novembre-décembre Eau de surface Le MDDEP procède régulièrement à l’évaluation de la qualité de l’eau des rivières, afin d’observer les tendances et de déterminer quels paramètres posent problème en termes de dépassement des critères de qualité ou des valeurs repères. Selon Simard (2004), les paramètres qui ont le plus affecté la qualité des cours d’eau dans le sud du Québec de mai à octobre, pour la période de 2000 à 2002, sont les matières en suspension (MES) et la turbidité (tableau 5). Les seconds ont été le phosphore total, la chlorophylle A totale et, dans une moindre mesure, les nitrates et les nitrites, de même que les coliformes fécaux. L’azote ammoniacal s’est avéré le paramètre le moins préoccupant durant cette période quant à la fréquence de dépassement des critères ou des valeurs repères. Des résultats semblables sont rapportés par le Ministère (MDDEP 2003) pour la période de 1998 à 2000. L’impact des activités agricoles sur les MES et la turbidité de l’eau de surface est principalement attribuable à l’érosion des sols. Cette érosion est quant à elle influencée par les pratiques de gestion des sols, dont plusieurs sont reliées directement à la culture du maïs (MDDEP 2003). L’épandage de MRF riches en matières organiques contribue théoriquement à limiter l’érosion (voir la section sur la qualité des sols). Cependant, le moment d’épandage (printemps, été ou automne) n’a vraisemblablement pas d’impact direct sur l’érosion, sinon indirectement dans la mesure où l’épandage est accompagné de certains travaux du sol qui augmentent l’érosion (labours, machinerie lourde, compaction, etc.). En ce qui concerne le phosphore total, une revue de littérature réalisée par Larocque et al. (2002) indique que les pertes d’une parcelle cultivée sont influencées par de nombreux facteurs dont le P du sol, le P apporté par un amendement, l’incorporation du P apporté, le moment d’épandage, le travail du sol et le type de culture. Selon Bédard et al. (1999), l’érosion serait cependant le principal facteur de perte. Le risque relatif à la saison d’épandage d’un amendement de sol n’est donc ni le seul facteur, ni le plus important, influençant les pertes de P vers l’eau de surface. De plus, l’incorporation de l’amendement au sol, bien qu’efficace pour réduire les pertes dans certaines conditions (Giroux et al. 2003) peut s’avérer incompatible avec certaines pratiques agroenvironnementales de travail réduit du sol, augmentant ainsi le risque d’érosion, et incidemment les MES et la turbidité des cours d’eau. Or, les pratiques de travail réduit du sol sont pratiquées sur près de la moitié des superficies en cultures annuelles (BPR 2005). La chlorophylle A totale étant en principe corrélée avec la teneur en P dans l’eau de surface, ce paramètre n’est pas discuté dans la suite du présent article. Les coliformes fécaux dans l’eau sont utilisés comme indicateurs de la contamination fécale en provenance de sources agricoles ou municipales. Ce paramètre n’indique cependant pas le contenu réel n organismes pathogènes. En effet, bien que les coliformes fécaux semblent à première vue poser moins de problèmes que les MES, la turbidité et le P (Simard 2004), Barthe et Brassard (1996, cité par Chevalier et al. 2004) indiquent que plus de 40 % des eaux de surface échantillonnées au Québec renferment des protozoaires parasites des genres Cryptosporidium et Giardia. Bien que la causalité entre les activités agricoles et les infections chez l’humain suite à la consommation d’eau contaminée par des pathogènes soit difficile à établir, et possiblement limitée, l’épisode de Walkerton a démontré que ce risque n’était pas négligeable dans le cas des bactéries (Chevalier et al. 2004), alors que 2300 personnes ont nécessité des soins médicaux et que 7 sont même décédées (Unc et al. 2003). Le risque de ruissellement des pathogènes vers l’eau de surface suite à un épandage serait plus élevé avec un lisier qu’avec un fumier solide, mais serait réduit dans un sol récepteur ayant une forte proportion de macropores, comme certains sols avec des pratiques de conservation (Unc et al. 2003). Le risque de ruissellement des bactéries du lisier serait le plus élevé pendant et immédiatement suite à l’épandage, en raison de l’augmentation de l’humidité du sol (Topp et Scott 2003) et de la formation d’une couche d’imperméabilisation qui réduit le taux d’infiltration des liquides (Unc et al. 2003). Par contre, l’incorporation au sol n’aurait pas pour effet d’accélérer la destruction des E. coli comparativement au lisier laissé en surface pour des conditions de laboratoire (Topp et Scott 2003). Si on transpose ces résultats aux MRF contenant des pathogènes, on peut penser que les risques de contamination de l’eau de surface par ruissellement sont moindres avec les résidus solides comparativement aux liquides. Les risques seraient aussi moindres avec des sols ayant une forte macroporosité, comme les prairies et les sols avec des pratiques de conservation du sol. L’impact de l’incorporation au sol est quant à lui mitigé et mériterait d’être davantage documenté. De façon plus globale, on évalue qu’environ 100 000 t de MRF de catégories P2 et P3, susceptibles de contenir des pathogènes d’origine fécale, sont épandues à l’automne sur les sols agricoles, comparativement à 10 millions de tonnes d’engrais de fermes épandus au même moment (en considérant certaines données partielles pour l’année 2003, BPR 2005). Il s’agit donc d’un rapport des quantités de l’ordre de 1 pour 100. En considérant cette proportion à l’échelle du bassin versant, il est donc peu probable que l’épandage automnal de quantités limitées de MRF P2 et P3 ait un impact mesurable sur la qualité de l’eau de surface. Cela est renforcé par le fait que la majorité des MRF sont sous forme solide, ce qui réduit les risques de ruissellement comparativement aux lisiers. À l’échelle de la parcelle, même si un écoulement significatif vers l’eau de surface survenait dans une situation particulière, il faudrait considérer qu’une contamination microbienne automnale ou hivernale est moins susceptible d’avoir un impact négatif sur les activités récréatives (eau froide) qu’avec un épandage printanier ou estival. L’obligation réglementaire de désinfecter l’eau de surface pour fins de consommation humaine représente pour sa part un « filet de protection » supplémentaire pour la santé humaine. En ce qui concerne la contamination de l’eau de surface par les nitrates/nitrites, un dépassement de la norme de qualité de l’eau potable de 10 mg/L n’est que très rarement observé (Gangbazo et Babin 2000, Simard 2004). Les rivières en milieu agricole présentent des concentrations médianes généralement inférieures à 2 mg N-NO3/L (Gangbazo et Babin 2000). Ainsi, bien qu’il y ait une certaine contamination de l’eau de surface en nitrates (augmentation par rapport à la teneur naturelle), il n’y a que rarement pollution (dépassement d’une norme réglementaire). Le tableau 5 indique que l’azote ammoniacal pose également peu de problèmes de contamination de mai à octobre (Simard 2004). Cabana (2000) a toutefois montré que l’eau brute utilisée pour fins de consommation à Repentigny, l’Assomption et l’Épiphanie, trois municipalités du bassin versant de la rivière l’Assomption, excède régulièrement le critère de qualité de 0,5 mg N-NH4/L, particulièrement entre décembre et février. Les pics de contamination font généralement suite à une pluie ou à des fontes de neige hivernales (redoux) dans ce secteur caractérisé par une intensification de la production porcine. Cela concorde avec les observations faites par Gangbazo et al. (1997) en parcelles réceptrices de lisier, ou à l’échelle du bassin-versant (Gangbazo et al. 2003). Les auteurs imputent cette forte contamination au ruissellement de parcelles ayant reçu de fortes doses de lisier de porcs, riche en azote ammoniacal, tard à l’automne. En effet, lorsque le sol est froid (épandage tardif), la nitrification de l’ammoniac apporté est réduite (Rochette et al. 2004a). Mentionnons toutefois que les phénomènes sont parfois contradictoires, puisque Chantigny (2005) rapporte que tout l’azote ammoniacal d’un lisier épandu en décembre peut être nitrifié en moins de 100 jours, sous certaines conditions. L’azote ammoniacal peut également être toxique à la faune aquatique au niveau des fossés et des petits cours d’eau en zone agricole, pour des concentrations variant entre 0,13 et 2,1 mg N-NH4/L, selon le pH et la température de l’eau (Guay et al. 2002), mais on a peu de données de qualité pour ces milieux à faibles débits. Cependant, Gangbazo et al. (1997, 1999) ont observé que, sur des parcelles recevant de fortes charges de lisier de porcs à l’automne sur une période de 5 ans, la concentration en NH4 des eaux de ruissellement pouvait atteindre 2,2 mg N-NH4/L et ainsi dépasser les critères de toxicité chronique. Les études en parcelles de Gangbazo et al. (1997, 1999) peuvent toutefois surestimer le risque environnemental, car certaines doses étudiées étaient excessives. Mais quelques arguments doivent être considérés en contre-partie. Premièrement, la date d’épandage étudiée, du 1er au 30 octobre selon les années, avait pour effet de favoriser la nitrification et ainsi réduire le stock de NH4 du sol sujet au ruissellement, de l’automne jusqu’à la fonte des neiges. Une disparition quasi complète de l’ammoniac apporté a en effet été observée par N’Dayegamiye et al. (2004a), moins de 6 semaines après un épandage de fumiers solides et de biosolides papetiers le 1er octobre (tableau 4). Chantigny (2005) rapporte même que l’ammonium provenant d’un lisier épandu en décembre peut être entièrement nitrifié pendant l’hiver, sous couvert de neige. Comme deuxième argument, mentionnons que le délai de 24 heures avant l’incorporation permettait une perte non négligeable de NH3 par volatilisation, car la majorité de la volatilisation a lieu en moins de 12 heures (Rochette et al. 2001, 2004; Chantigny et al. 2004). Cela est corroboré par Nicolardot et al. (2003) avec les MRF, notamment celles ayant un pH ≥ 7,8. Troisièmement, l’incorporation du lisier dans les parcelles en maïs, par Gangbazo et ses collaborateurs, réduisait le risque de ruissellement du NH4 résiduel. Quatrièmement, les teneurs extrêmes en N-NH4 de l’eau mesurées à l’échelle parcellaire correspondent en pratique aux teneurs extrêmes mesurées en rivière pour un bassin versant à forte densité porcine (Gangbazo et al. 2003). Cinquièmement, on observe une relation linéaire très forte entre les doses de lisier à l’automne et les pertes en N-NH4, peu importe la culture étudiée (figure 4). On peut donc raisonnablement utiliser les données de Gangbazo et al. (1997, 1999), pour estimer de façon conservatrice les pertes de NH4 vers l’eau de surface, pour une parcelle donnée, en fonction de la charge en azote total (ou ammoniacal) réellement épandue (figure 4). On peut en outre penser que ces résultats sur les lisiers peuvent être extrapolés à d’autres amendements riches en azote ammoniacal, bien qu’il n’y ait pas eu d’études aussi exhaustives dans le cas des autres engrais de ferme et des MRF pour le démontrer. Tableau 5. Paramètres et qualité des eaux de surface en rivières pour la période estivale 2000-2002 (adapté de Simard, 2004). Paramètre | Description | Principaux impacts/usages | Critère/valeur repère | Niveau de préoccupation1 | Matières en suspension (MES) | Particules organiques ou inorganiques qui se trouvent dans l’eau. | Problèmes liés à la sédimentation. Voir aussi turbidité. | V. R 2. : 13 mg/L | 1 | Turbidité | Caractère trouble d’une eau causé par diverses substances, dont les MES. | Problèmes esthétiques, limite aussi l’efficacité de la désinfection de l’eau de consommation. | Critère : 5 UNT 3 | 1 | Phosphore total | Élément nutritif, en excès, il accélère l’eutrophisation. | Divers usages impactés (eau potable, activité récréative, vie aquatique). | Critère : 0,03 mg/L | 2 | Chlorophylle a totale | Pigment phytoplanctonique indicateur d’eutrophisation. | Voir phosphore total. | V. R. : 8,6 mg/m3 | 2 | Coliformes fécaux | Groupe de bactéries utilisées pour indiquer la contamination fécale. | Divers usages (eau potable, activité récréative). | Critère : 200 UFC/100 ml (contact) | 3 | Nitrates/nitrites | Formes minérales d’azote naturellement présentes en faibles concentrations. | Eau potable (méthémoglobinémie chez le nourisson et cancérigène possible). | Norme : 10 mg N-NO3/L V. R. : 1 mg/l | 3 | Azote ammoniacal (NH3 ou NH4) | Forme minérale d’azote naturellement présente en faible concentration et précurseur des nitrates. | Entrave la désinfection de l’eau de consommation, toxique pour les poissons. | Critère : 0,5 mg/L V. R. : 1,5 mg/L4 | 4 | - Le niveau de préoccupation est exprimé relativement au dépassement des critères ou des valeurs repères choisies, et sans pondération de l’importance de l’usage à protéger ou de l’impact d’un dépassement sur la santé humaine ou l’écosystème.
- V. R. = Valeur repère.
- Unités néphélométriques de turbidité.
- La valeur varie selon le pH et la température de l’eau (Guay 2003).
Qualité de l’air Figure 4. Pertes annuelles moyennes en N-NH4 dans l'eau de surface en fonction de la quantité de lisier de porc épandu entre le 1er et le 30 octobre, sur 2 cultures, sur un loam limoneux comportant une pente de 6 %, sur une période de 5 ans (adapté de Gangbazo et al., 1997). | Trois paramètres sont ici considérés : les odeurs, les bioaérosols et les gaz à effet de serre (GES). Les récentes audiences du BAPE sur le développement durable de la production porcine ont mis en évidence un problème important de cohabitation en milieu rural relié à la question des odeurs (MDDEP 2003). Il est même possible qu’il y ait des incidences sur la santé mentale des personnes vivant en zone rurale. En effet, on a observé une augmentation significative du niveau de détresse psychologique de la population au printemps et en été dans les municipalités ayant un cheptel porcin important (MDDEP 2003). Bien que la causalité n’ait pas été rigoureusement démontrée, on ne saurait négliger cette possibilité pour la production porcine. En raison du caractère malodorant et désagréable de certaines MRF (Fortin 2000, Thériault 2001, Groeneveld et Hébert 2002, 2004), imputable à la volatilisation de divers gaz (Kodsi et al. 1992, Rochette et al. 2004b), il est possible qu’il y ait également un impact de l’épandage de ces MRF sur la santé mentale au printemps et à l’été. L’épandage automnal réduirait ce risque, car les voisins ont alors un comportement plus casanier, ce qui réduit davantage leur exposition. Selon Goyer et al. (2001, cité par Forcier 2002), les bioaérosols sont des particules aéroportées, constituées de microorganismes (bactéries, virus, moisissures) ou provenant de ceux-ci, par exemple les métabolites, les toxines ou les fragments de microorganismes. Ces particules proviennent des matières organiques, des plantes, du sol, des animaux et des humains. Les matières organiques fraîches et humides, comme les engrais de ferme et les biosolides, offrent un support favorable à la présence et à la croissance microbienne, et donc à l’émission de bioaérosols. Bien que le risque relié aux bioaérosols ait fait l’objet de récentes polémiques, principalement avec les biosolides municipaux, il n’y a pas d’évidence que la valorisation des MRF selon le cadre réglementaire actuel pose un risque à la santé (Forcier 2003). Cela tient notamment au fait que seule une partie des MRF contient des pathogènes (catégories P2 et P3) et que celle-ci est sujette à des distances séparatrices d’épandage (MDDEP 2004). L’épandage automnal de MRF serait même un facteur supplémentaire de protection en diminuant le facteur d’exposition. Le protoxyde d’azote ou oxyde nitreux (N2O) est un GES 310 fois plus puissant que le CO2. Il serait responsable de 11 % des émissions canadiennes de GES, dont la moitié proviendrait des activités agricoles (Rochette 2004), et cela malgré le fait que seulement 1 à 2 % de l’azote apporté sur les sols serait volatilisé sous forme de N2O (Chantigny, comm. pers.). Le N2O résulte de la dénitrification des nitrates accumulés dans les sols, surtout en conditions humides (Rochette 2004). Les pertes de N2O en hiver sous couvert de neige seraient significatives (van Bochove et al. 1996, cité par Chantigny et al. 2002) et il y a même plusieurs évidences suggérant que les émissions de N2O sont les plus importantes au dégel, alors que les sols sont saturés d’eau (Chantigny, comm. pers.). L’épandage automnal de matières organiques azotées est donc en principe plus susceptible de générer l’émission de N2O que l’épandage printanier. Cependant, on peut observer le phénomène inverse, selon les conditions pédo-climatiques qui varient d’une année à l’autre (Rochette et al. 2004a). Puisque les MRF contiennent moins d’azote minéral que les lisiers, le risque d’émission de N2O au niveau du sol (ou des rivières) suite à un épandage automnal serait donc théoriquement moindre, surtout dans le cas de biosolides à C/N élevé qui ont pour effet d’immobiliser les nitrates du sol. Il existe toutefois peu de données pour le confirmer. D’une façon plus globale, en termes de réduction d’émissions de GES, on peut penser que la valorisation automnale de biosolides permet indirectement une réduction d’émission de méthane, dans la mesure où l’on réduit les quantités de résidus organiques destinés à l’enfouissement sanitaire. Mais cela a été peu documenté jusqu’à maintenant. Qualité des sols Un des principaux problèmes de dégradation des sols agricoles au Québec est relié à une détérioration de la structure du sol qui affectait déjà, à la fin des années « 80 », près du quart des superficies cultivées (Tabi et al. 1990, cité par MDDEP 2003). Cette déstructuration résulte notamment de la monoculture et prédispose les sols à l’érosion hydrique, puis à la contamination de l’eau de surface par les MES et le phosphore (MDDEP 2003). Or, il a été démontré que l’apport de certaines MRF organiques, notamment celles contenant des fibres végétales, permet d’améliorer la structure (Angers et al. 1998, Chantigny et al. 1999, N’Dayegamiye et al. 2001, Watt 2001, Chantigny et al. 2005), ou d’améliorer d’autres propriétés des sols comme la porosité et la teneur en matière organique (Beauchamp et Thériault 1998, Chantigny et al. 1999, N’Dayegamiye et al. 2004b), ou les populations de vers de terre (N’Dayegamiye et al. 2004b). Il existe moins de données en parcelles concernant l’impact des biosolides municipaux, mais on peut penser que l’apport de matière organique tend également à améliorer la structure du sol, en plus d’un rôle positif possible lié à la présence de polyacrylamides anioniques ajoutés en usine lors du traitement des eaux usées (Unc et al. 2003). Ces améliorations de la qualité du sol suite à l’épandage de biosolides sont donc susceptibles de réduire le risque de contamination de l’eau de surface par érosion des particules de sol et par ruissellement du phosphore dissous et de l’azote ammoniacal. Une valorisation des biosolides sur un sol dégradé, peu importe le moment de l’épandage, peut donc aider à réduire la pression environnementale sur l’eau exercée par les activités agricoles, notamment celles associées à la culture du maïs. Concernant les éléments traces métalliques et organiques présents dans les MRF, de nombreuses études ont mis en évidence que les risques à court terme pour les sols et les cultures sont faibles ou négligeables (Caron et al. 1998, Chassé et al. 2003). Cela tient au fait qu’un apport limité de MRF à court terme ne modifie pas significativement la teneur en métaux lourds et autres éléments traces du sol. Cela a été particulièrement documenté avec les biosolides papetiers (Beauchamp et Thériault 1998, Gagnon et al. 2004). Le moment de l’épandage (printemps ou automne) importe donc très peu quant à la gestion du risque. Les risques possibles relativement aux éléments traces concernent plutôt l’épandage répété, et à long terme, de MRF à teneurs élevées en contaminants qui persistent dans l’environnement, comme le cuivre, le cadmium et les dioxines. Des travaux réalisés par l’IRDA (Giroux et al. 2004) ont d’ailleurs mis en évidence que les apports répétés d’engrais de ferme sur 10 ans pouvaient amener une augmentation très importante de la fraction extractible (Mehlich 3) du cuivre et du zinc, même si la teneur totale du sol n’augmente pas sensiblement. Ces auteurs suggèrent des mesures préventives pour limiter les apports, notamment avec le fumier de volailles et le lisier de porcs. Dans le cas des MRF, de telles mesures préventives sont déjà en application depuis plusieurs années (MDDEP 2004). En se basant sur les résultats d’analyses de risques, réalisées principalement aux États-Unis avec les boues municipales, la probabilité d’une contamination significative, au plan environnemental, par les éléments traces des MRF apparaît très faible, même à long terme (Hébert 1998, Van coïllie et Laquerre 2003, Hébert 2003, MDDEP 2004). Qualité des aliments L’incidence sur la santé humaine ou animale résultant de l’ingestion d’aliments végétaux fertilisés avec des matières fécales animales ou humaines a été peu documentée. L’épandage automnal d’engrais de ferme s’avère cependant une mesure préventive recommandable, car il a pour effet de détruire les bactéries pathogènes, en raison du délai prolongé entre l’épandage et la récolte, et de l’exposition aux cycles rigoureux de gel et de dégel (Giroux et al. 2003). Bien qu’aucune norme réglementaire ne restreigne l’usage des engrais de ferme à ce niveau, des délais de récolte et des interdictions d’épandage sur certaines cultures sont appliqués aux MRF de catégories P2 et P3 (MDDEP 2004). Réponse Il s’agit de la dernière étape de la séquence Pression-État-Réponse (PER). Étant donné que l’encadrement légal et administratif de la valorisation des MRF est très complexe (MDDEP 2004), on se limitera à résumer l’implication des principaux intervenants. Cela pour mettre ensuite l’emphase sur les paramètres environnementaux pour lesquels des modifications devraient être envisagées dans le cadre de l’épandage automnal des MRF. Agence canadienne d’inspection des aliments (ACIA) L’ACIA administre la Loi et le Règlement sur les engrais (ACIA 1996). Les produits vendus ou importés comme engrais ou suppléments (amendements de sol) doivent être conformes aux normes fédérales d’étiquetage et d’innocuité. Les critères et valeurs guides relatifs aux contaminants chimiques et aux pathogènes sont très semblables aux critères du MDDEP (2004). L’ACIA ne contrôle toutefois pas directement les pratiques d’épandage, contrairement au MDDEP. Bureau de normalisation du Québec (BNQ) Le BNQ élabore des normes commerciales sur les matières fertilisantes au Canada et procède à la certification de conformité par rapport à ces normes. En 2003, 10 produits commerciaux (MRF) étaient certifiés par le BNQ dont 4 composts, 5 amendements calciques ou magnésiens et un biosolide municipal granulé (MDDEP 2004). Cela représente environ 150 000 tonnes/an et approximativement 10 % du volume de MRF et de composts commerciaux qui sont valorisés au Québec (MDDEP 2004). Les produits certifiés par le BNQ sont exempts de pathogènes, peu odorants et contiennent généralement peu d’azote minéral. Ils peuvent donc être valorisés en agriculture sans certificat d’autorisation du MDDEP. Ministère du Développement durable, de l’Environnement et des Parcs du Québec (MDDEP) Dans le cadre du développement durable, et pour favoriser l’atteinte des objectifs environnementaux de valorisation de la Politique québécoise de gestion des matières résiduelles 1998-2008 (Québec 2000), le MDDEP encourage la valorisation des MRF tout en s’assurant que ces activités se font dans le respect de la protection de l’environnement et de la santé humaine. Le MDDEP exerce un contrôle a priori et a posteriori sur les activités de valorisation afin de s’assurer que la Loi sur la qualité de l’environnement, les normes réglementaires et les exigences relatives aux certificats d’autorisation (CA) soient respectées. Le Guide sur la valorisation des matières résiduelles fertilisantes (MDDEP 2004) regroupe l’ensemble des normes réglementaires, dont les distances séparatrices du REA et du RCES (Règlement sur le captage des eaux souterraines), de même que les critères supplémentaires relatifs aux CA. Lorsque les MRF contiennent des teneurs non négligeables en éléments traces (catégorie C2), en pathogènes (catégories P2 et P3), ou sont malodorantes (catégories O2 et O3), des contraintes d’épandage supplémentaires s’appliquent (MDDEP 2004) afin de réduire l’exposition. Les MRF qui ne rencontrent pas les exigences de base ne peuvent être épandues. Les fermes réceptrices doivent également démontrer au MDDEP qu’elles ont la capacité de recevoir ces MRF (bilan de phosphore), bien que la détermination des doses d’épandage de N et P à l’échelle de la parcelle soit laissée au soin de l’agronome. Cependant, dans le cas d’un épandage après le 1er octobre, l’agronome doit apporter des précisions supplémentaires (article 31 du REA). Des contrôles terrain réalisés par le Ministère ont mis en évidence que les activités de valorisation des MRF sous CA respectent dans la grande majorité des cas les critères de qualité attendus quant à la teneur en métaux et pathogènes (Hébert et al. 2002, 2003). Les exigences relatives au stockage au champ sont également respectées dans environ 80 % des cas (Groeneveld et Hébert 2003). Ordre des agronomes du Québec (OAQ) Selon la Loi sur les agronomes, l’OAQ veille à la protection du public. De ce fait, l’OAQ a la responsabilité de s’assurer de la compétence des agronomes. La Ligne directrice sur la gestion des matières fertilisantes (OAQ 2004) précise entre autres que l’agronome doit « recommander un apport d’environ 55 kg/ha de l’azote potentiellement disponible fourni par les matières fertilisantes, dans le cas où la période d’épandage ciblée est reconnue comme ayant un risque environnemental généralement modéré à élevé ». Cette limite de charge a été considérée pour la première fois en 1998 (MAPAQ, MDDEP, UPA, MSSS et MAM, 1998) et est dérivée des travaux de Gangbazo et al. (1997, 1999). La figure 4 montre en effet qu’avec une dose de 55 kg de Ntotal/ha de lisier de porcs sur prairie à l’automne, les pertes de N-NH4 dans l’eau de surface sont du même ordre de grandeur que celles obtenues avec un épandage printanier de lisier ou d’engrais minéraux. Municipalités Les municipalités et les municipalités régionales de comté (MRC) ont le pouvoir d’établir des dates d’interdiction d’épandage relativement aux odeurs en vertu du Code municipal et de la Loi sur les cités et villes (maximum de 12 jours d’interdiction par année). Quant aux distances séparatrices pour les odeurs des MRF en zone agricole, elles sont actuellement déterminées par le MDDEP (2004). Tableau 6. Synthèse de l’approche Pression-État-Réponse. Milieu/ ressource à protéger | Indicateur environnemental | Niveau de dégradation du milieu/ ressource | Risques d’un épandage automnal de MRF | Niveau des mesures actuelles du MDDEP relativement aux MRF | Mesures supplémentaires pour épandage d’automne | Eau souterraine (consommation) | Nitrates | Faible, sauf certains aquifères spécifiques (2,6 % des puits excèdent la norme de 10 mg/L) | Faible à nul si résidu à C/N > 30 ou composts, plus élevé si ratio N-NH4/ N total élevé et épandage en sol chaud (épandage hâtif) | Satisfaisant (doses selon les besoins des plantes, distances séparatrices) | Limitation des charges pour les biosolides à C/N < 30 | E. coli | Faible, sauf certains aquifères spécifiques | Probablement aucune différence au niveau de l’ouvrage de captage | Suffisant (RCES, Guide MRF) | Aucune | Eau de surface (rivières) | Turbidité et MES | Très élevé | Pas de lien direct de causalité Avantages indirects (sols – érosion) | Suffisant | Aucune | Phosphore total | Élevé à très élevé | Plus élevé qu’un épandage printanier | Paramètre déjà très encadré (REA) | Limitation des doses, utilisation des outils de gestion existant (LoPhos, etc.) | Coliformes fécaux | Modéré à très élevé (Cf. Walkerton) | Impact peu probable (peu de MRF P2/P3 vs fumiers, distances séparatrices) | Possiblement suffisant | Injection/incorporation des liquides P2/P3 sur sol nu, si cela n’augmente pas le risque d’érosion. | Ammonium (NH4) | Variable (faible en été, mais plus élevé en hiver dans certains bassins versants), inconnu pour les petits cours d’eau | Plus élevé si ratio N-NH4/N total élevé et épandage tardif | Insuffisant | Limitation des doses en sol froid, incorporation superficielle/injection en sol nu, si cela n’augmente pas le risque d’érosion. | Nitrates (NO3) | Faible | Plus élevé si C/N < 30 | Suffisant | Aucune Limitation indirecte via N- NH4 | Air | Odeurs – détresse psychologique | Indéterminé, mais possiblement très élevé (épandage de lisier au printemps et en été) | Beaucoup plus faible qu’au printemps et en été (exposition moindre) | Possiblement suffisant (catégories d’odeurs, distances séparatrices, dates d’interdiction par municipalité) | Aucune | Bioaérosols | Indéterminé | Plus faible (exposition moindre vs printemps/été) | Possiblement suffisant (distances séparatrices) | Aucune | Gaz à effet de serre | Très élevé | Probablement plus élevé vs printemps/été si bcp NH4, plus faible si résidu à C/N > 30 ou composts | Insuffisant | Limitation des doses de NH4 (voir NH4) et limitation du recours à l’enfouissement sanitaire (méthane). | Sol | Éléments traces des matières fertilisantes | Faible (comparaison des teneurs actuelles vs critères toxicologiques) | Pas de lien de causalité avec le moment d’épandage | Suffisant à court terme, probablement suffisant à long terme (limites C2) | Aucune | Érosion | Très élevé (voir MES et étude de la dégradation des sols) (Tabi et al. 1990) | Pas de causalité direct mais la possibilité d’un épandage automnal augmente les apports de matière organique au sol sur plus de superficies, réduisant indirectement le risque d’érosion. | Suffisant | Travail du sol (incorporation) sur prairie ou en semis direct à éviter | Aliments pour humains/bétail | Pathogènes | Indéterminé | Plus faible (délai accrû entre l’épandage et la récolte) | Suffisant (prohibitions, délais) | Aucune | Synthèse des informations et mesures préventives Le tableau 6 présente une synthèse des informations découlant de la démarche Pression-État-Réponse. Il en ressort qu’il n’y a pas d’évidence à l’effet que l’épandage automnal ou post-récolte des MRF selon les normes et critères actuels poserait un problème significatif au plan environnemental. Ce constat résulte d’une considération globale des quantités en cause, des teneurs en contaminants et de la sévérité du cadre réglementaire actuel. L’épandage des MRF en post-récolte s’avère même avantageux pour la gestion des odeurs et des bioaérosols, tout en facilitant le travail de l’agriculteur au plan opérationnel. Cependant, afin de minimiser les pertes en azote vers l’eau ou sa transformation en oxyde nitreux, qui est un puissant gaz à effet de serre, quelques mesures préventives peuvent être envisagées selon le type de MRF et son risque relatif. Ces mesures sont regroupées au tableau 7 et impliquent essentiellement une restriction des doses de MRF en fonction du rapport C/N et de la teneur en azote ammoniacal, ces paramètres étant d’ailleurs reliés au potentiel de nitrification. Certaines mesures supplémentaires s’appliquent également aux MRF P2 et P3 liquides pour réduire le risque de contamination de l’eau de surface. Puisque les teneurs en azote et en P des MRF sont généralement corrélées, la limitation des doses au tableau 7 aura aussi indirectement pour effet de réduire les charges de P au sol. Avec ces mesures préventives impliquant de faibles doses en azote minéral, et les autres mesures déjà requises par la réglementation et les critères du MDDEP (2004), il n’apparaît pas nécessaire, d’un point de vue environnemental, d’obliger systématiquement une incorporation des MRF au sol suite à un épandage automnal. L’incorporation pourrait même être incompatible avec des pratiques de conservation du sol (semis direct, prairies) qui permettent de limiter les pertes de P et de MES dans les bassins versants dégradés (Gangbazo et al. 2002), ainsi que les risques de ruissellement des pathogènes (Unc et al. 2003). Par contre, il est à souligner que l’incorporation est requise par le MDDEP (2004) dans certaines situations spécifiques, afin de limiter l’attraction des agents vecteurs de pathogènes (mouches, moustiques, etc.) ou pour réduire l’exposition aux odeurs. Par ailleurs, même si l’approche générale d’évaluation du risque retenue dans le présent article peut s’appliquer aux engrais de ferme, on ne saurait transposer directement l’ensemble des mesures préconisées pour les MRF. Les teneurs en contaminants (Pression) et le cadre réglementaire (Réponse) sont en effet très différents à plusieurs égards. Tableau 7. Mesures préventives d’épandage des MRF et des composts en post-récolte pour minimiser les pertes d’azote et la contamination des eaux de surface par les pathogènes. Type de MRF | Mesures supplémentaires¹ | Justifications | Divers | Composts | Aucune | Les composts contiennent très peu d’azote minéral (ratio N minéral/N total de 4 % pour les composts de ferme). Ils renferment peu ou beaucoup moins de pathogènes comparativement aux déjections animales. | Un compost de ferme est partiellement désodorisé et a une teneur en N-NH4 < 2000 mg/kg, b. s. (Gagnon et al. 2004), sinon il doit être géré comme un fumier solide. Les composts commerciaux ont généralement un niveau de maturité plus élevé et contiennent très peu d’azote ammoniacal. | Biosolides C/N ≥ 30 | Aucune | Ces biosolides sont susceptibles de réduire les pertes en causant une immobilisation temporaire de l’azote minéral du sol (Chabot et al. 2000). Ils contiennent aussi très peu de phosphore. | Au plan agronomique, les biosolides à C/N > 43 peuvent nuire à la culture en raison de cette immobilisation. Beauchamp et Thériault (1998) suggèrent d’ajouter un supplément d’azote minéral au printemps, de l’ordre de 1 à 3 kg N/tonne humide pour des résidus primaires de désencrage (C/N très élevés ≥ 200). Le complément d’azote variera toutefois selon le ratio C/N de la MRF, la dose d’épandage, le reliquat de nitrates dans le sol à l’automne et la température du sol (date d’épandage). Compte tenu que les résidus de désencrage peuvent contenir jusqu’à 45 % de CaCO3 (base sèche), la dose d’épandage sera limitée afin d’éviter un surchaulage. Cela réduira indirectement l’intensité de l’immobi-lisation de l’azote. Le complément d’azote pourra même ne pas être nécessaire avec une culture de légumineuses (Chantigny et al. 1999, Machrafi et al. 2003). | Biosolides C/N ≥ 20 et < 30 | ≤ 40 tonnes/ha (base humide)¹ | Un C/N > 20 a été suggéré par Giroux et al. (2003) comme limitant fortement les risques de pertes d’azote. Avec une dose d’épandage de biosolides papetiers de 30 à 40 t/ha, base humide, Cormier et Dauphin (1998), Pouliot et al. (1998) et N’dayegamiye et al. (2004) obtiennent une charge d’azote ammoniacal au sol de l’ordre de 17 kg N-NH4/ha (max. : 48 kg N- NH4/ha). Les auteurs ont aussi mesuré une accumulation de nitrates dans le profil du sol en décembre relativement faible (tableau 4). | Cette dose d’épandage est compatible avec l’atteinte de rendements agronomiques acceptables (Gagnon et al. 2004) et s’avère techniquement faisable (Charbonneau et al. 2000). | Biosolides C/N < 20 | ≤ 35 kg N-NH4/ha¹ | Ces biosolides peuvent avoir une proportion importante de leur azote sous forme ammoniacale, ce qui les rapproche davantage des fumiers solides et des lisiers. La charge en N-NH4 est moindre ou comparable à 55 kg Ntotal/ha de lisier de porcs (qui apportent 30 à 40 kg N-NH4/ha). Cette charge correspond à un risque de contamination relativement faible (figure 4). | Cette mesure préventive unique est simple d’application comparativement à l’ensemble des mesures préventives de l’OAQ (2004). Elle implique toutefois de devoir analyser le NH4 des MRF suite au stockage à la ferme pour connaître les teneurs réelles. En absence d’analyses spécifiques, on pourra utiliser un ratio N-NH4/N total conservateur de 30 % (40 % si le biosolide a un C/N < 15). Cependant, si le biosolide a un pH > 11 ou une siccité > 90 %, la teneur en NH4 n’augmentera pas sensiblement durant le stockage, en raison de l’arrêt de l’ammonification des protéines. L’analyse en usine sera alors suffisante. Presque tous les biosolides municipaux et agroalimentaires ont un C/N < 20. | MRF liquides | ≤ 35 kg N-NH4/ha Injection/incorporation au sol des P2/P3 si cela n’augmente pas le risque d’érosion des sols¹. | Idem | Cette charge d’ammonium implique des doses de plus de 20 m³/ha, réalisables par les épandeurs à lisier, mais il faut veiller à minimiser le risque de ruissellement. D’un point de vue agronomique, les liquides contenant la majorité de leur azote sous forme minérale (ratio N-NH4/Ntotal > 50 %) ne devraient pas être épandus en post-récolte si l’objectif principal est une fertilisation azotée, puisqu’une bonne partie de cet azote minéral risque d’être perdue au printemps suivant. | Amendements calciques ou magnésiens | Aucune | Ces MRF (cendres, poussières de cimenteries, etc.) contiennent peu ou pas d’azote ou de pathogènes. | | - L’incorporation au sol peut réduire les pertes en azote ammoniacal, mais contribue à accroître les risques d’érosion et de pollution de l’eau de surface par les matières en suspension. Elle est donc contre-indiquée pour les prairies et les cultures annuelles avec des pratiques de conservation du sol. D’ailleurs, les charges en ammonium au sol étant fortement limitées, le risque d’une contamination significative de l’eau de surface serait faible, en se basant sur les travaux de Gangbazo et al. (1997).
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