Le coin de Rafale
Sais-tu en quoi consiste le travail d’un sociologue de l’environnement?
J’ai appris qu’un sociologue spécialisé en environnement travaillait au Ministère et cela a piqué ma curiosité. Comme je m’intéresse tout particulièrement à l’environnement naturel dans lequel je vis, mais aussi aux personnes qui m’entourent et qui me sont chères, j’en ai parlé avec oncle Robert; il a aussitôt communiqué avec Carl Ouellet, un sociologue qui travaille à la Direction générale de l’évaluation environnementale et stratégique du Ministère. Carl m’a invité à venir le rencontrer à son bureau et à lui poser mes questions. Voici le résultat de mon entrevue avec lui.
Quel travail effectue un sociologue de l’environnement?
Source : Carl Ouellet. Parc éolien de Témiscouata.
Pour sa part, le sociologue de l’environnement s’intéresse aux interactions entre les sociétés et l’environnement. À la Direction générale de l’évaluation environnementale et stratégique du Ministère, le travail du sociologue consiste à évaluer les conséquences négatives ou positives que les grands projets de développement réalisés au Québec ont sur la société. En effet, c’est à ma direction générale que revient le mandat d’appliquer les procédures d’évaluation environnementale de plusieurs types de projets (centrales hydroélectriques, parcs éoliens, routes et autoroutes, lieux d’enfouissement technique, mines, etc.), car ces projets sont susceptibles de perturber l’environnement de façon significative et de susciter des préoccupations au sein de la population.
Ainsi, le sociologue tentera de trouver des solutions pour limiter le plus possible les effets négatifs des projets et proposera des mesures afin de maximiser leurs retombées positives pour les individus et les communautés. Au terme de son analyse (lecture, réflexion, rencontres, etc.), le sociologue rédigera un avis destiné à ses patrons, dans lequel il décrira les impacts sociaux potentiels du projet évalué et recommandera, s’il y a lieu, des mesures que le promoteur pourrait mettre en œuvre pour améliorer son projet et le rendre le plus acceptable possible sur le plan social. Les collègues avec lesquels je travaille procèdent de la même façon que moi, mais leur analyse porte sur d’autres composantes de l’environnement (la faune, la flore, les milieux humides, la qualité de l’air et de l’eau, etc.).
Qu’aimez-vous particulièrement dans votre travail?
J’aime illustrer la façon dont la société est prise en considération dans les procédures d’évaluation environnementale de projets d’importance. Pendant plusieurs années, l’analyse de projets portait principalement sur les aspects biologiques et physiques de l’environnement et négligeait souvent les aspects sociaux. Mais la situation a bien changé! Mon objectif ultime est que tous les projets de développement réalisés au Québec, peu importe leur ampleur, aient le moins d’impacts possible sur les personnes et sur la société et qu’ils contribuent à l’amélioration de la qualité de vie de tous. Dans cette optique, au fil de mon expérience et de mes analyses, j’ai pu modestement contribuer à instaurer différentes actions ou mesures, que certains promoteurs ont choisi de mettre en œuvre, afin de prendre en compte les aspects sociaux du développement dans l’élaboration et la réalisation de leurs projets et de limiter leurs effets négatifs sur la société. Je peux t’en donner quelques exemples : création de comités de relation avec le milieu pour favoriser le dialogue entre les différents acteurs (citoyens, promoteurs, élus et groupes), mise sur pied de systèmes de gestion des plaintes et commentaires afin d’être à l’écoute des préoccupations des individus et des groupes ou élaboration de plans de communication. D’autres types de mesures peuvent faire l’objet de recommandations, telles que l’aménagement de buttes écrans afin d’atténuer les nuisances (bruit, poussières, etc.) pour les résidents qui vivent à proximité de chantiers de construction, l’interdiction d’effectuer des travaux en soirée et les fins de semaine ou le déplacement d’équipements pour ne pas modifier un paysage valorisé par la communauté.
Un autre aspect de mon travail que j’aime tout particulièrement est le fait que, parfois, les retombées positives d’un projet, telles que la création d’emplois, peuvent être enrichies grâce à des suggestions que j’ai formulées. Par exemple, je peux demander que des programmes de formation soient mis sur pied dans la région où un projet doit s’implanter, afin de favoriser l’embauche d’une main-d’œuvre locale. De cette façon, les citoyens de cette région bénéficient des côtés positifs du projet, malgré le fait qu’ils vivront peut-être aussi avec ses désagréments. Et comme le dit le dicton, « le travail, c’est la santé »; en effet, les emplois permettent aussi l’amélioration et le maintien de bonnes conditions sociales et économiques pour les travailleurs.
Certains projets peuvent aussi générer des bénéfices pour la société tout entière. Par exemple, la construction d’une autoroute pour remplacer une chaussée à deux voies à contre-sens peut entraîner une diminution des risques d’accidents par face-à-face et une baisse du sentiment d’insécurité des conducteurs. C’est le cas du projet de l’autoroute 75 reliant la ville de Québec et la région du Saguenay, sur une distance de 174 kilomètres, dont la construction s’est terminée en septembre 2013. Les analyses sociologiques peuvent aussi considérer le développement d’expertises dans certains secteurs de pointe comme un impact positif des projets de développement (par exemple, la Gaspésie est devenue un leader en matière de construction d’éoliennes au Québec).
Source : Ministère des Transports, de la Mobilité durable et de l’Électrification
des transports. Autoroute à quatre voies et à chaussées séparées entre
Québec et Saguenay.
Par ailleurs, la nature de mon travail requiert des discussions quotidiennes avec mes collègues; nous avons des expertises et des formations très variées, ce qui est stimulant puisque nous apprenons tous les uns des autres. J’aime particulièrement ce volet de mon travail, qui fait que mes journées ne sont pas monotones!
En quoi consiste une journée typique à votre travail?
Mes journées de travail sont très variées. C’est un travail qui exige concentration et réflexion car, pour effectuer l’analyse des projets de développement et évaluer leurs impacts sur la société, je dois lire une foule de rapports et d’études sur toutes sortes de sujets et en faire des synthèses. J’ai aussi des rencontres fréquentes avec des collègues dont la formation diffère de la mienne (biologie, ingénierie, géographie, etc.) pour discuter des projets, et parfois aussi avec les promoteurs qui souhaitent réaliser ces projets. Il est important de bien comprendre leurs objectifs de développement et de discuter avec eux, si cela s’avère nécessaire, de mesures qui pourraient être mises de l’avant pour minimiser les impacts négatifs sur les communautés. Je dois aussi répondre à des demandes de toutes sortes, provenant de collègues ou de personnes externes au Ministère, sur la question des aspects sociaux des projets envisagés.
Quelles sont les études nécessaires pour devenir sociologue?
Pour devenir sociologue, il faut suivre une formation universitaire en sociologie. Le sociologue est motivé par le désir de comprendre les multiples dimensions de la société, sa structure et son organisation. Il peut accomplir une foule de tâches :
- Étudier et analyser divers phénomènes sociaux touchant, par exemple, la famille, la religion, la collectivité, la criminalité, la vie politique, la pauvreté, les minorités, la santé ou l’action communautaire;
- Diriger un projet de recherche, rédiger son rapport final et diffuser ses résultats;
- Effectuer des recherches quantitatives et qualitatives, selon les exigences du terrain, en utilisant les méthodes d’enquête appropriées;
- Concevoir des instruments d’évaluation et des stratégies d’échantillonnage et en évaluer la validité;
- Collecter, organiser et interpréter des données chiffrées ou textuelles;
- Formuler des avis et des recommandations en se basant sur des conclusions de recherches ou sur des analyses de situations;
- Créer et développer des banques de données, effectuer la saisie des données collectées et les codifier.
Outre les études, qu’est-ce que ça « prend » pour travailler comme sociologue?
Un vaste éventail de connaissances, notamment sur l’histoire du Québec et ses grandes tendances, ainsi que des bases théoriques sur l’analyse de l’action sociale, sont nécessaires. Le sociologue doit également posséder et acquérir d’importantes habiletés liées au monde du travail, telles que :
- la capacité rédactionnelle;
- l’aptitude pour le travail d’équipe;
- la curiosité intellectuelle;
- le sens critique et de l’analyse;
- la capacité d’adaptation;
- le sens de l’initiative et le jugement;
- l’utilisation de logiciels d’analyse de données.
Selon vous, à quoi ressemblera le travail d’un sociologue en environnement dans 10 ans? Quels seront vos défis?
La prise en compte des aspects sociaux du développement est devenue une réalité incontournable dans le cadre des grands projets, surtout depuis la mise en application de la Loi sur le développement durable. L’une des forces d’un sociologue est de prendre en compte le contexte des valeurs historiques et sociales, de comprendre l’influence de ces valeurs et leur relation avec la protection de l’environnement. Et comme les valeurs de la société évoluent tout le temps, que les individus sont de plus en plus informés, conscientisés, et qu’ils souhaitent discuter de ce qui se passe autour d’eux, et puisqu’il faut aussi tenir compte des changements climatiques et de leur impact sur nos habitudes et nos modes de vie, le sociologue est appelé à jouer un rôle de premier plan dans la recherche de solutions pour la société de demain. Ainsi, plus il y aura de sociologues impliqués dans la réalisation des projets, plus il deviendra facile de trouver des solutions qui tiennent compte de leurs aspects sociaux, et ce, dans le respect de l’environnement.
Avez-vous un message à transmettre aux jeunes qui souhaitent suivre vos traces?
Pour devenir sociologue de l’environnement, il faut avoir un grand intérêt pour tout ce qui se passe au Québec et ailleurs dans le monde, avoir une bonne écoute et être sensible à ce que ressentent et vivent les autres êtres humains. Si vous possédez ces qualités, vous avez déjà plusieurs atouts en main! Parfois, les autres ne pensent pas comme nous, mais nous ne devons jamais porter de jugement car ils ont certainement des raisons bien légitimes de penser différemment. Il faut être très respectueux des divergences d’opinions et s’ouvrir au dialogue. Enfin, pour travailler comme sociologue de l’environnement, il faut garder à l’esprit l’importance, lorsqu’un projet doit être réalisé, de rechercher des solutions acceptables pour tout le monde. C’est un grand défi, mais c’est aussi une grande joie quand on réussit à trouver des compromis qui rassemblent toutes les parties en cause. Le sociologue est là pour bâtir des ponts entre les différents groupes concernés par un projet et pour s’assurer qu’ils maintiennent le cap sur l’importance de bien faire les choses en se préoccupant du respect de la nature et de la société.
Tu as des questions ou des commentaires sur ce sujet? Fais-nous-en part!Elisapie
Pour en savoir plus
André, P., Delisle, C. E. et J.-P. Revéret (2009). Évaluation des impacts sur l’environnement. Québec : Presses internationales Polytechniques (3e édition).
Bouchard-Bastien, E., Gagné, D. et G. Brisson (2020). Guide de soutien destiné au réseau de la santé : l’évaluation des impacts sociaux en environnement. Québec : Institut national de santé publique du Québec.
Publication : novembre 2024