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Aires protégées au Québec
Contexte, constats et enjeux pour l'avenir (suite)
4. Enjeux liés aux aires protégées
En 1996, le gouvernement du Québec adoptait une stratégie sur la diversité
biologique. Cette stratégie fixait déjà les grands objectifs de développement des
aires protégées23. Rappelons-en ici les objectifs :
- accroître la connaissance écologique nécessaire à létablissement dun
réseau de conservation de qualité et à la sauvegarde des éléments vulnérables ou
menacés de la diversité biologique naturelle ;
- établir et maintenir un réseau intégré et représentatif daires protégées
nécessaires à la préservation de la diversité biologique ;
- renforcer le réseau daires de conservation gérées de façon à assurer la
protection de la diversité biologique sur une plus grande portion du territoire.
Par lentremise de cette stratégie, le gouvernement a pris les engagements
suivants :
- accroître la connaissance sur les écosystèmes et les espèces ;
- élaborer une stratégie sur les aires protégées ;
- poursuivre la consolidation et le développement des parcs québécois et des réserves
écologiques ;
- assurer la conservation des habitats fauniques ;
- développer le réseau des refuges fauniques ;
- consolider le rôle de conservation des aires de conservation gérées ;
- mettre au point des mesures incitatives, techniques et financières pour encourager la
conservation et la gestion de sites naturels par le secteur privé ;
- prendre les mesures appropriées afin de réduire au minimum les impacts de
lutilisation des milieux sensibles ou adjacents aux aires protégées.
Dans le présent chapitre, nous exposerons un certain nombre denjeux en fonction
des objectifs et engagements gouvernementaux déjà inscrits dans la Stratégie
québécoise sur la diversité biologique ainsi que des constats énoncés au chapitre
précédent. Rappelons les principales conclusions qui se dégagent de ce chapitre :
- une répartition inadéquate des aires protégées sur lensemble du territoire
québécois, ce qui ne favorise pas la sauvegarde déchantillons de toute la
biodiversité du Québec, quil sagisse décosystèmes représentatifs ou
particuliers ;
- un manque dapproche méthodologique pour définir la biodiversité du Québec,
pour caractériser les aires protégées sur les plans écologique et biologique et pour
apprécier la contribution de chaque aire protégée à la sauvegarde de la
biodiversité ;
- labsence dobjectifs clairement définis sur le rôle des aires protégées
dans le maintien et la sauvegarde de la biodiversité.
Dautres problèmes liés au développement du réseau daires protégées au
Québec semblent pour leur part avoir leur origine dans le processus même de la
planification administrative des aires protégées. Parmi ceux-ci, signalons :
- un manque dintégration et de complémentarité des actions ;
- une difficulté dintégration du volet « conservation » dans
les processus daffectation et daménagement du territoire ou
dexploitation des ressources ;
- un soutien restreint du secteur privé et une prise de conscience collective limitée
sur la nécessité de protéger des territoires naturels.
Toutes ces lacunes ont pour conséquence que le Québec ne participe pas suffisamment
à leffort international en faveur des aires protégées.
Outre les problématiques susmentionnées, les coûts de gestion constituent toujours
une importante limitation à lexpansion du réseau des aires protégées du Québec.
Le Québec aurait maintenant intérêt à adopter une approche nouvelle, davantage
intégrée, plus unifiée, plus cohérente et susceptible dêtre mieux partagée par
tous. Cette approche devrait dorénavant constituer lassise de tous les
développements futurs daires protégées au Québec. Elle devrait permettre :
- daffirmer limportance et la place des aires protégées comme un des moyens
privilégiés de sauvegarde de la biodiversité et de développement local et régional,
notamment en fonction de nouvelles économies tels le tourisme et lécotourisme et
pour le maintien des bénéfices financiers issus par exemple de lexploitation
forestière ;
- de déterminer les choix et les actions prioritaires de développement des aires
protégées, pour latteinte des objectifs de conservation de la biodiversité et de
développement durable ;
- de situer adéquatement laction gouvernementale en matière daires
protégées, dharmoniser les actions du Québec avec celles, entre autres, du
gouvernement fédéral et de faciliter la contribution des partenaires privés à la
réalisation des objectifs daugmentation du nombre et de la superficie des aires
protégées ;
- finalement, daccroître sensiblement leffort du Québec à léchelle
mondiale pour la sauvegarde de la biodiversité par le moyen des aires protégées.
Pour atteindre ces objectifs de conservation en matière daires protégées, le
Québec devra sengager fermement à légard des trois grands enjeux suivants.
Bâtir sur les acquis et sinscrire dans une approche réseau
Malgré la superficie restreinte en aires protégées et même si les espaces existants
sont peu représentatifs de lensemble de la diversité biologique et surtout
concentrés dans certaines régions habitées, le Québec dispose dun ensemble de
moyens législatifs et administratifs largement appropriés pour la création de nouvelles
aires protégées. Il possède maintenant une meilleure connaissance de sa diversité
biologique et il détient une information plus pertinente sur les milieux naturels qui
devraient faire lobjet dune protection.
Avec la Stratégie sur la diversité biologique, le Québec sest engagé
résolument dans une démarche de conservation de cette diversité, où les aires
protégées occupent une bonne place. En maints endroits habités, des interventions de
protection ont ainsi permis la sauvegarde de milieux qui auraient été dégradés,
modifiés ou qui seraient disparus. Le Québec a aussi eu la prudence de mettre en
réserve certains territoires, notamment dans le nord du Québec (à lexception de
la forêt boréale nordique) et dans certaines zones peu soumises à des développements
majeurs.
Enfin, le Québec a défini diverses façons de protéger et de gérer sa diversité
biologique (zec, pourvoirie, réserve faunique, etc.). Ces diverses aires pourraient
devenir, en partie ou en totalité, des aires protégées (de catégorie VI, par exemple)
si le mode et lintensité actuels de lexploitation des ressources étaient
révisés pour répondre aux critères internationaux de gestion retenus par le Québec.
Au-delà de ces acquis, le défi qui se présente maintenant est de doter le Québec
dune vision unifiée, dun cadre dintervention mieux concerté et plus
harmonisé pour le développement des aires protégées. Partant dune situation où
chaque gestionnaire daire protégée uvre avec ses propres objectifs, ses
orientations, ses objets de préoccupation, ses moyens dintervention et ses
planifications sectorielles, il faut se tourner vers un concept de « réseau
intégré », où chaque partie, tout en gardant ses spécificités, contribue à
des objectifs communs, utilise des connaissances communes et sinscrit dans un cadre
dintervention axé sur la complémentarité des actions et le partage des
responsabilités.
Dans un contexte où les progrès en matière daires protégées sont
extrêmement limités et pénibles, devant les difficultés de convenir de démarches
communes permettant de mieux partager lespace collectif du Québec et
dintégrer les aires protégées dans un processus plus large de gestion intégrée
du territoire et des ressources, le Québec a certainement tout à gagner à adopter une
vision unifiée, intégrée et cohérente.
Cette nouvelle vision devrait aussi mieux situer laction visant à orienter les
discussions avec le gouvernement fédéral dans le développement du réseau canadien des
aires protégées. Elle devrait également permettre de souligner laction
gouvernementale québécoise relativement aux aires protégées en milieu privé et
encourager les initiatives de ce secteur.
Augmenter sensiblement le nombre, la superficie et la
représentativité des aires protégées
Les aires protégées contribuent de façon privilégiée à la protection de la
diversité biologique dun État et au maintien des processus et des fonctions
écologiques essentiels à toute stratégie de développement durable. En effet, les aires
protégées constituent la façon la moins coûteuse et la plus adéquate pour garantir à
un État la sauvegarde déchantillons de sa biodiversité représentative ou
exceptionnelle, rare ou menacée.
Il faut renverser lopinion selon laquelle les aires protégées sont un luxe
quon se paie à loccasion. Il est fondamental de démontrer que les aires
protégées sont indissociables de tout processus de développement et dautant plus
nécessaires que le développement dun territoire est intensif.
Dans ses grandes orientations et politiques, le Québec a dailleurs reconnu le
développement durable comme la pierre dangle de son essor. Le développement
durable recouvre en effet des facettes sociale, économique et environnementale. La
conservation de la diversité biologique et son utilisation durable sont les principaux
éléments de la facette environnementale. Les aires protégées contribuent largement à
lactualisation de cette dimension. En fait, les aires protégées constituent un
« filet de sécurité environnementale » que le Québec doit se donner
pour maintenir une capacité de développement durable de son territoire et de ses
ressources.
En favorisant la conservation, le tourisme, le loisir de plein air, léducation
au milieu naturel et la sensibilisation à lenvironnement, les aires protégées
jouent un rôle considérable dans la réalisation des objectifs du développement
durable. Bien plus, elles traduisent les valeurs quune société attache aux
composantes de son territoire. De façon générale, elles contribuent à la qualité de
la vie.
Enfin, on sait que les aires protégées font rouler léconomie en favorisant
notamment le tourisme et lécotourisme, ainsi quen répondant aux besoins en
matière de loisirs de plein air. Les aires protégées contribuent à la diversification
de léconomie régionale et locale, là où cela est possible, par le biais
daménagements appropriés. Dans le domaine de laménagement forestier
durable, elles sont un apport considérable.
Par conséquent, le Québec a tout intérêt à augmenter la superficie de ses aires
protégées. Loin de constituer un poids économique, un tel accroissement ouvrirait la
porte à de nouvelles formes déconomie et permettrait de valoriser celles qui
existent déjà (ex. : en matière dexploitation forestière).
Grâce aux aires protégées, le Québec pourra réaliser plus facilement ses
engagements en matière de conservation de la diversité biologique. Ce faisant, il pourra
mieux se positionner dans leffort mené partout à travers le monde en faveur du
maintien et de lutilisation durable de la diversité biologique.
Le Québec a une diversité biologique qui lui est propre. Il partage avec
dautres États des espèces et des écosystèmes semblables. Ses interventions sur
le territoire et ses ressources ont des impacts qui dépassent ses frontières. La
grandeur de sa forêt boréale, de sa taïga et de sa toundra dans le nord ainsi que son
vaste bassin hydrographique du Saint-Laurent donnent une couleur distinctive à sa
biodiversité. Il a donc des responsabilités particulières à assumer dans cette vaste
entreprise planétaire de sauvegarde de la biodiversité. Rappelons que le Québec a
souhaité, au cours des dernières années, prendre une place dans le peloton de tête des
États qui prennent soin de leurs ressources biologiques. En renforçant ses acquis en
matière daires protégées, il pourra maintenir son image positive à
létranger comme promoteur de la sauvegarde de ses espèces et de ses milieux
naturels.
En effet, le Québec a été très actif dans la préparation de la Convention sur la
diversité biologique. À la suite de la signature par le Canada de cette Convention à
Rio en juin 1992, il a rapidement adopté un décret où il se déclarait lié par cette
convention, et il a indiqué quil allait la mettre en uvre sur son territoire.
Il a été lun des premiers gouvernements à préparer et à adopter une stratégie
de mise en uvre et à élaborer un plan daction, dans lequel il a pris des
engagements précis en faveur notamment des aires protégées. Déjà, en 1991, comme
gouvernement membre de lOrganisation internationale de la francophonie (Sommet de la
francophonie), le Québec adhérait à la Déclaration de Tunis, laquelle prévoyait,
quau plus tard en 1996, tous les pays membres de cette organisation consacreraient
collectivement au moins 5 % de leur territoire dans le but dy privilégier la
conservation des écosystèmes et la diversité des espèces dans le contexte du
développement durable.
Preuve de son engagement en faveur des aires protégées, à la conférence conjointe
des ministres canadiens de la Faune, des Parcs et des Forêts tenue à Aylmer en 1992, le
Québec signait une déclaration dans laquelle toutes les provinces canadiennes et le
gouvernement fédéral sengageaient à tout mettre en uvre pour compléter les
réseaux canadiens daires protégées représentatives des régions naturelles
terrestres avant lan 2000 et accroître la protection de zones qui sont
caractéristiques des régions marines naturelles.
Dans cette foulée, le Québec sengage à atteindre dici 2005 une
superficie en aires protégées de lordre de 8 % de son territoire.
Figure 5: Évolution du pourcentage de la
superficie des aires protégées au Québec et dans le monde
Cliquez pour agrandir
Les données pour le monde remontent à la fin de 1996.
Sources : adapté de Green, M.J.B. and Paine J., 1997;
Centre de données sur le patrimoine naturel du Québec, 1999.
Développer une solidarité collective à légard des
aires protégées
Dans une société qui dépend chaque jour largement des bénéfices issus de la
diversité biologique, les aires protégées constituent une assurance collective
essentielle pour la sauvegarde des espèces vivantes et le maintien déchantillons
divers des écosystèmes. Les aires protégées, symbole dactions concrètes de
conservation, représentent de façon très visible les efforts de toute une société en
faveur du développement durable. Elles sont un des grands héritages que lon peut
partager avec la génération actuelle et léguer aux générations futures.
Cependant, létablissement et la gestion de ces espaces posent des problèmes
multiples, les aires protégées interférant avec de nombreuses affectations
territoriales, droits et privilèges consentis principalement aux différents intervenants
économiques et sociaux.
Développer une « SOLIDARITÉ » collective à légard des aires
protégées chez les citoyens et les responsables, publics ou privés, du développement
et de la gestion des ressources et du territoire constitue la façon de garantir au
Québec un réseau daires protégées plus étendu, mieux intégré, de qualité et
répondant aux aspirations de tous. Cette solidarité devrait permettre à la société
québécoise toute entière de faire en sorte que les aires protégées deviennent un
« DÉFI COLLECTIF » et une réalisation de « GRANDE FIERTÉ ».
Par ailleurs, il sera nécessaire de favoriser lémergence et la prise en compte
des connaissances locales et autochtones traditionnelles dans le choix daffectation
de terres aux fins de création daires protégées.
Signalons que la solidarité à légard des aires protégées commence à se
faire sentir un peu partout. Le Fonds mondial pour la nature a ainsi recensé dans le
rapport détape 1997-1998 de sa campagne « Espaces en danger » un
certain nombre dengagements pris à léchelle canadienne, incluant ceux du
Québec (par son gouvernement ou ses industries et organismes), qui plaident en faveur des
aires protégées. Voici des exemples.
- La Chambre des communes, résolution adoptée à lunanimité, le
17 juin 1991
« Daprès la Chambre, le gouvernement du Canada devrait considérer
lopportunité de préserver et de protéger à létat naturel au moins 12 % du
territoire canadien, en oeuvrant conjointement avec les gouvernements provinciaux et
territoriaux et en les aidant à parachever leurs réseaux daires protégées,
dici à lan 2000. »
- Le Conseil canadien des ministres des Forêts, Accord canadien sur les
forêts ; Durabilité des forêts : un engagement canadien, 1992 (signé
aussi par des représentants de lindustrie forestière, de syndicats,
dassociations autochtones et de groupes de conservation)
« Dici à lan 2000, tous les membres de la communauté
forestière travailleront au parachèvement dun réseau de zones protégées
représentatives des forêts canadiennes afin de fournir des repères écologiques,
protéger les zones de valeur biologique unique et permettre des expériences en milieu
sauvage. »
- La Chambre de commerce du Canada, résolution adoptée à lunanimité,
le 21 septembre 1993
« Les gouvernements fédéral, provinciaux et territoriaux oeuvreront de concert avec
le secteur privé et la population canadienne dans le but détablir, dici à
lan 2000, un réseau daires protégées (comptant des aires de nature sauvage,
des réserves écologiques, des parcs nationaux, des parcs provinciaux, des aires
naturelles et des refuges fauniques) qui tiendra compte des réalités économiques et
représentera la diversité de toutes les régions naturelles du Canada, tel
quénoncé dans les sections « Motifs » et « Engagements »
de lEngagement formel entériné en 1992 par les ministres des Parcs, de
lEnvironnement et de la Faune du Canada. »
Au Québec, le soutien des communautés locales et régionales, des industries et des
autres ministères concernés (ministère de lAgriculture, des Pêcheries et de
lAlimentation, ministère des Ressources naturelles, ministère du Tourisme,
ministère des Régions, etc.) relativement aux aires protégées doit être renforcé.
Nous croyons quil sera possible dy arriver si plus dinformations sont
données sur limportance de conserver la biodiversité, sur les lieux où cette
conservation est essentielle sous la forme daires protégées et sur les choix de
protection qui soffrent. Ainsi, pour une région donnée, il deviendra important de
bien décrire la biodiversité et les éléments particuliers qui mériteraient
dêtre conservés. Des propositions de scénarios de conservation pourront aussi
être élaborées et présentées aux populations et aux intervenants concernés. Des
consensus pourront alors être dégagés sur les nécessités de conservation, en
associant plus directement les gens du milieu. Il sagit dun changement majeur
de nos façons de faire actuelles.
Comme les aires protégées sétablissent concurremment avec dautres formes
dutilisation des ressources et du territoire, il apparaît primordial de mettre en
place des mécanismes de résolution des différends. Chaque partie prenante pourra alors
mieux comprendre les relations qui existent entre les populations et les ressources, y
compris les questions liées aux avantages des choix proposés.
En conclusion, la solidarité à légard des aires protégées devra surtout
sexprimer par :
- une plus grande sensibilisation des ministères, des organismes, des partenaires et de
la population en général et leur engagement dans le processus de planification ;
- le développement des économies locales et régionales en tenant compte davantage des
aires protégées ;
- une meilleure définition du rôle des intervenants des secteurs public et privé ;
- la modification des processus daffectation et daménagement du territoire,
démission de divers droits sur les terres publiques, de manière à permettre une
intégration équitable de ces aires dans le développement et la gestion du
territoire et de ses ressources ;
- ladoption dun principe général selon lequel il est essentiel de préserver
un certain pourcentage du territoire, notamment de terres publiques, et précisant que
tous ceux qui détiennent sur le territoire des privilèges ou des droits devraient
participer à titre de partenaires.
23 |
Ministère de lEnvironnement et de la Faune
du Québec, 1996. Stratégie de mise en uvre de la Convention sur la diversité
biologique, 122 p. |
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