Contrôle de qualité indépendant des matières résiduelles fertilisantes par le MENV – Partie I
Près de un million de tonnes de matières résiduelles fertilisantes (MRF) sont épandues annuellement sur les sols agricoles du Québec (Charbonneau et al., 2000). Il s’agit notamment des biosolides (boues) papetiers, d’abattoirs ou de municipalités, des poussières de cimenteries et des cendres de bois. Pour valoriser ces MRF, les promoteurs doivent généralement obtenir un certificat d’autorisation (CA) du ministère de l’Environnement (MENV), sauf dans le cas de produits commerciaux certifiés conformes par le Bureau de normalisation du Québec (BNQ) qui sont utilisés en conformité avec le mode d’emploi. Environ dix pour cent du tonnage des MRF est actuellement certifié par le BNQ. D’autres activités de valorisation de MRF présentant un très faible risque peuvent également être pratiquées sans requérir un CA, comme l’épandage de copeaux d’élagage des arbres en quantités limitées (MENV, 2001). Lorsqu’une autorisation est requise par le MENV, le promoteur doit d’abord fournir les résultats d’analyse de contenu en contaminants, en pathogènes en en éléments fertilisants des MRF produites au cours des douze derniers mois. On compare ensuite les valeurs moyennes aux teneurs limites permises pour établir la qualité pour les contaminants, comme les métaux lourds (catégories C1 ou C2), et la qualité pour les pathogènes (catégories P1, P2 ou P3). Les méthodes d’échantillonnage et d’analyses ainsi que la fréquence d’échantillonnage requises sont établies par le MENV (2001) et les analyses doivent être effectuées par un laboratoire accrédité par le Centre d’expertise en analyse environnementale du Québec (CEAEQ), lorsque le domaine d’accréditation existe pour un paramètre donné. Le résidu est également classifié pour ses caractéristiques d’odeurs (catégories O1, O2 ou O3) par le MENV (Groeneveld et Hébert, 2002). Un résidu qui ne rencontre pas les exigences de base (classe C2-P3-O3) est considéré « hors-catégorie » et ne peut être utilisé sur les sols agricoles. La teneur en éléments fertilisants, particulièrement l’azote et le phosphore, déterminera par ailleurs les quantités limites pouvant être épandues sur les sols afin d’éviter la surfertilisation pouvant conduire à une contamination de l’eau. Cette approche de classification de la qualité des MRF implique toutefois les hypothèses suivantes :
La validité de ces hypothèses implique notamment le respect des conditions suivantes :
Pour s’assurer du respect des critères environnementaux, les directions régionales du MENV doivent donc effectuer régulièrement un contrôle indépendant de la qualité des MRF (MENV, 2001). Un tel contrôle a été réalisé de façon plus globale en 2000 et 2001 pour un ensemble de régions administratives du Québec. Les objectifs spécifiques de cette activité de contrôle étaient les suivants :
Une analyse détaillée des résultats de ce contrôle de qualité a fait l’objet d’un essai, dans le cadre du programme de maîtrise à l’environnement de l’Université de Sherbrooke, sous la supervision d’un chargé de projet du MENV (Rioux, 2002). Le présent article en présente les principaux résultats qui touchent à la représentativité de l’échantillonnage et à la classification globale des MRF, en détaillant plus spécifiquement les résultats pour les catégories C. Les résultats concernant les catégories P et la teneur en éléments fertilisants feront l’objet d’une autre publication dans la revue VECTEUR environnement. La campagne d’échantillonnage a été supervisée par la Direction des politiques du secteur agricole en collaboration avec les directions régionales participantes. Chaque direction régionale sélectionnait au moins deux MRF représentatives de la région administrative. Les échantillonnages ont été réalisés majoritairement à l’été 2001, et quelques-uns en 2000, par le personnel du MENV, soit à l’usine, soit au champ (amas entreposés), soit les deux. Les échantillons pris à l’usine ont généralement été prélevés en un seul moment plutôt que sur une période étendue. Les échantillons ont été envoyés pour analyse au CEAEQ. Pour certains échantillons, une partie était également remise au promoteur pour analyse par ses propres laboratoires. À partir des résultats d’analyse fournis par le CEAEQ, nous avons déterminé les catégories C et P des échantillons du MENV selon le document CPVMRF (MENV, 2001) et nous les avons comparées aux catégories alléguées par les promoteurs dans leurs demandes d’autorisation qui comprenaient les résultats d’analyse de laboratoire. Nous avons en outre analysé de façon plus détaillée les résultats pour chaque paramètre afin d’explorer quelques sources de variation possibles. Pour ce faire, nous avons utilisé les diagrammes de dispersion des données couplés à une analyse de régression linéaire à l’aide du progiciel Microsoft Excel (Microsoft Corporation, 1997). Lorsque les résultats d’analyse étaient sous le seuil de détection, nous leur avons attribué la moitié de cette valeur, sauf dans le cas des dioxines et furannes où des valeurs de 0 en équivalents toxiques étaient déjà imputées par défaut dans les certificats d’analyse du CEAEQ. Les détails sur l’échantillonnage, l’analyse, l’épuration et le traitement des données sont documentés par Rioux (2002). Représentativité des MRF échantillonnées Vingt-quatre MRF et trois composts ont été échantillonnés par le MENV (tableau 1), ce qui représente environ 28 % des quelques quatre-vingt-cinq MRF valorisées au Québec dans le cadre d’un CA selon Charbonneau et al. (2000). On constate que les biosolides papetiers représentent 62,5 % des échantillons ce qui correspond relativement bien au pourcentage de 70 % de la masse des MRF valorisées en agriculture. Les biosolides municipaux sont cependant sur-représentés. À l’inverse, les biosolides d’abattoirs et d’autres industries agro-alimentaires sont sous-représentés. La représentativité est nulle pour les cendres, car aucun échantillon n’a été prélevé. Cependant, ces résidus ne contiennent pas de pathogènes et sont donc d’office considérés de catégorie P1 (MENV, 2001). La représentativité des autres amendements calciques et magnésiens est également pratiquement nulle. Cependant, six de ces résidus sont actuellement certifiés par le BNQ, ce qui implique qu’ils ont également fait l’objet d’un contrôle de qualité indépendant. Les trois composts échantillonnés n’apparaissent pas dans le tableau 1 parce que leur représentativité était difficile à établir à cause d’un manque de données sur les quantités de compost effectivement valorisées en agriculture (Charbonneau et al.; 2000). En termes géographiques, onze directions régionales ont participé au projet, soit 85 % des régions administratives où les activités de valorisation agricole sont significatives. Ainsi, on peut considérer que l’échantillonnage est assez représentatif des MRF valorisées en agriculture au Québec et faisant l’objet d’un certificat d’autorisation par le MENV, sauf pour ce qui est des biosolides agro-alimentaires et des cendres.
Classification globale Les catégories C et P ont pu être établies pour 24 MRF, incluant trois composts. Toutes les MRF échantillonnées respectent les exigences de base (C2-P3) et aucune n’était «hors-catégorie» (figure 1). La classe d’excellente qualité environnementale (C1-P1), regroupe d’ailleurs près de 30 % des MRF échantillonnées. Plus de la moitié des RF échantillonnées sont en outre de catégorie C1. Plus spécifiquement, 80 % des biosolides papetiers échantillonnés pour ce projet sont de catégorie C1, ce qui est tout à fait en accord avec Charbonneau et al. (2001) qui rapportent que 79 % du tonnage des biosolides papetiers valorisés en agriculture étaient de catégorie C1. Cela tend donc indirectement à confirmer la représentativité des MRF échantillonnées.
Catégories C En général, pour les catégories de teneurs en contaminants, l’échantillonnage du MENV confirme exactement les catégories alléguées par les promoteurs dans 20 cas sur 27 (tableau 2). Dans cinq cas, l’échantillonnage du MENV montre une catégorie C1, soit un meilleur résultat que la catégorie C2 alléguée par le promoteur dans sa demande de CA. Pour le biosolide papetier # 6, l’échantillon prélevé à
l’usine donne une catégorie C1, alors que celui pris au champ présente une
catégorie C2, étant donné sa teneur en cadmium (5 mg/kg) et en molybdène (7
mg/kg). Cependant, en calculant la moyenne des deux échantillons, on obtient
la catégorie C1. Nous avons donc considéré que ce biosolide était
effectivement de catégorie C1, puisque les catégories sont basées sur la
valeur moyenne ou médiane de plusieurs échantillons (MENV, 2001) et que les
teneur en cadmium et en molybdène étaient bien inférieures à la limite de la Selon l’échantillonnage réalisé en 2000 et 2001, les catégories C proposées par le promoteur s’avèrent donc fiables ou conservatrices dans 96 % des cas (23/24). Dans un cas cependant, avec le biosolide municipal #1, il y aurait possiblement eu une sous-estimation du risque puisque l’échantillon du MENV indique une catégorie C2, alors que le promoteur alléguait une catégorie C1. Cependant, les teneurs en arsenic (14 mg/kg) et en sélénium (2,8 mg/kg) responsables de la différence de classification, excèdent de peu les limites du critère C1 (13 mg As/kg et 2 mg Se/kg) et sont cinq fois moindres que les limites maximales permises pour la catégorie C2 (75 mg As/kg et 14 mg Se/kg). De plus, pour des raisons statistiques, on ne peut affirmer avec certitude que le biosolide municipal #1 dépasse le critère C1, car il n’y a qu’un seul échantillon et que les dépassements du critère C1 sont relativement faibles. D’ailleurs, dans 25 % des cas (3/12) où le MENV disposait à la fois d’un échantillon prélevé à l’usine et d’un autre au champ, les résultats étaient divergents. Sources de variation Les principaux éléments responsables d’une différence de catégorie entre le promoteur et le MENV, ou entre les deux échantillons du MENV, sont le cadmium et le molybdène. Parmi les sources de variation possibles expliquant ces différences, il y a la variabilité de la teneur en contaminants dans le temps pour une MRF donnée. Cela pourrait être attribuable à la variabilité des matières premières et des procédés utilisés, ainsi que des apports occasionnels de certains intrants très spécifiques dans les eaux usées. Les données fournies par les promoteurs dans les CA montrent en effet une variabilité importante dans le temps pour certains paramètres. Une autre source de variabilité serait attribuable à la méthode d’échantillonnage, mais on ne peut l’évaluer dans le cadre du présent exercice.
Une troisième source de variabilité serait attribuable au laboratoire. Toutefois, l’analyse de régression (tableau 3) montre dans plusieurs cas une bonne cohérence entre les résultats d’analyse du promoteur et du CEAEQ pour un même échantillon. C’est le cas notamment du molybdène. La cohérence des données est cependant plus faible dans le cas de Cd. Le nombre d’échantillon est cependant trop faible pour tirer des conclusions, notamment car la droite de régression peut dans ce cas être fortement influencée par une seule valeur anormalement élevée (« flyer »). En outre, dans le cas de paramètres non détectés, l’imputation d’une valeur arbitraire de 50 % du seuil de détection augmente la variabilité des paramètres dont les teneurs sont faibles, comme pour le sélénium qui présente même une pente négative. La variabilité due à de très faibles valeurs ne présente cependant pas d’impacts sur la classification et le risque environnemental. Le programme de contrôle de qualité indépendant des matières résiduelles fertilisantes par le ministère de l’Environnement du Québec a permis de constater que toutes les MRF échantillonnées en 2000 et 2001 respectaient les critères de base de teneurs limites en ontaminants et en pathogènes (catégories C et P). L’échantillonnage était en outre très représentatif, puisqu’il couvrait 28 % des MRF valorisées dans le cadre d’un CA pour la majorité des régions administratives du Québec où l’on valorise des MRF en agriculture. Aucune cendre n’a toutefois été échantillonnée. La classification des MRF alléguée par les promoteurs dans leurs demandes de certificats d’autorisation s’est avérée exacte ou conservatrice dans 96 % des cas pour les contaminants comme les métaux lourds et les dioxines et furannes (catégories C). Les résultats fournis par les promoteurs semblent donc conservateurs du point de vue environnemental, et cela même si on considère les nombreuses sources d’erreur ou de variation possibles. Les résultats suggèrent cependant que le contrôle de qualité indépendant réalisé par le MENV devrait se baser sur un minimum de deux échantillons composites étant donné la variabilité de certains paramètres dans le temps. Les résultats concernant les teneurs en éléments fertilisants et en pathogènes seront discutés dans un prochain article. |
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